Le Docteur Aimé Guinard,
chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, est mort le 17 juin
1911, à l’âge de 55
ans, des suites de ses blessures, reçues quelques jours plus
tôt sur son lieu
de travail, à l’Hôtel-Dieu, alors qu’il devait
présider en septembre de cette
même année 1911, la section chirurgicale du
Congrès de la tuberculose de
Rome. Que s’est-il passé ???
Marie
Aimé Désiré Guinard naît le jeudi 8 mai 1856
à Saint-Etienne (42), à 17h00, au
domicile parental sis 5 rue de Foy. Il est le fils de Victor Jean
Guinard,
pharmacien à Saint-Etienne, et de Jeanne Mélanie Prost.
Sa famille était
originaire de Saint-Laurent-en-Royans (26). Peu avant la
Révolution, elle
quittait le Dauphiné et s’installait à Montbrison
(42), et
Saint-Bonnet-le-Château (42), où
l’arrière-grand-père d’Aimé se mariait
en
1786. Au début du XIXème siècle, la branche de
Saint-Bonnet s’installe à
Saint-Etienne. Son père, Victor, fils d’André
Guinard, marchand drapier, et de
Marguerite Bessy, fit ses études de pharmacie à Paris,
où il fut interne des
docteurs Roux, Guersant et Chomel, à l’Hôtel-Dieu,
avant de retourner se fixer
en 1849 à Saint-Etienne, sa ville natale. Il y avait
épousé Mélanie Prost, une
jeune fille issue d’une ancienne famille du Forez, qui avait des
liens de
parenté avec Pascal. Selon la transcription
d’une lettre du
docteur Guillaume (dont Aimé fut témoin de mariage en
1895 et adressée le 11
juin 1959 au docteur Urbain Guinard, de Saint-Etienne), à son
arrivée à Paris,
Victor trouve, pour l'accueillir, les amis de son père, dont le
docteur Louis
Ducour, qui l'aida de ses conseils, les familles Prost, parents de sa
femme, et
Daqreel-Courras, où son couvert l'attendait souvent pour le
dîner. Selon ce que
disait le docteur Rochard de Victor : « d’une
probité professionnelle
scrupuleuse, il fut vite apprécié et estimé de ses
concitoyens. Il a laissé
parmi eux la réputation d’un homme instruit,
cultivé, mais se faisant remarquer
surtout par sa bonté, sa simplicité, sa modestie,
qualités qu’il sut léguer à
son fils ». Cette même lettre du docteur Guillaume parle
d'une anecdote de la
Révolution Française. Un ancêtre d'Aimé,
malheureusement non nommé dans la
lettre, ramassé par le Comité
Révolutionnaire, était conduit au Tribunal de
Montbrison, lorsqu'un garde de la colonne l'entendant appelé
Guinard, lui
demande s'il n'était pas du Dauphiné. Ce Guinard
répondant par l’affirmative,
ce compatriote le fit évader la nuit suivante, et ainsi
éviter "l'abbaye
de monte à regret", comme on appelait la guillotine !
Le docteur
Guillaume précisait : J'ai connu ce détail dans
les souvenirs de Victor
Guinard, le père d’Aimé.
Aimé Guinard était un esprit
novateur et n’hésitait pas à aborder les domaines
les plus délicats de la
chirurgie, mettant même une certaine "coquetterie" à
enlever un
fibrome en quelques minutes, afin de diminuer les risques
d’infection. Il fut
aussi un précurseur de le pylorectomie en France (la
pylorectomie est
l’ablation partielle ou totale du pylore, orifice de sortie de
l'estomac), et
publia ses travaux sur le traitement des anévrismes du cou par
la méthode de
Brasdor (l’anévrisme est la dilatation localisée de
la paroi d'une artère
provoquant l'apparition d'une hernie, et Pierre Brasdor était un
chirurgien français
du XVIIIème siècle qui inventa une méthode de
traitement des anévrismes qui
porte son nom), ou la ligature de la carotide primitive. Par la suite,
il
s’intéressa à la chirurgie abdominale, et fit
paraître un volume sur le sujet,
dans le traité de Le Dentu et Delbet, empreint d’une
certaine originalité, dans
lequel il attribuait certaines fausses-couches et grossesses
extra-utérines à
l’inflammation de l’appendice, ce qui pour
l’époque paraissait impensable. On
ne peut oublier ses travaux sur les pancréatites, qui sont
à l’origine de la
connaissance, du traitement et du diagnostic de ces maladies. On peut
dire
aussi qu’il est à l’origine de la vulgarisation de
la chirurgie de l’estomac en
France.
Aimé publia d’importants travaux tels : Comparaison des
organes génitaux de
l’homme et de la femme (en 1866), du meilleur mode de traitement
de la
pleurésie purulente (en 1884), un traité chirurgical du
cancer de l’estomac,
gastrectomie, gastro-entérostomie, opérations diverses
(en 1892, suite à une
séjour en Autriche et en Suisse en 1890, où il
étudia cette maladie avec les
médecins locaux), les hernies gangrenées, les
anévrismes de la base du cou, le
traitement du cancer utérin par le carbure de calcium. Il fait
en outre de
nombreuses communications au Congrès de Chirurgie, notamment sur
le cancer de
l’estomac, et les ligatures artérielles dans les
anévrismes.
Mais les dernières années de sa vie, ce qui semblait le
motiver le plus,
c’était l’enseignement qu’il apportait
à ses
élèves tous les matins. Ses cours
attiraient de nombreux auditeurs, à qui il disait il
faut traiter les malades
avec une douceur et une patience de mère. Le chirurgien bourru
et brutal ne
doit plus exister et ajoutait je ne vous ferai pas
l’injure de parler de
dévouement, de bienveillance, de charité, de bonté.
Le docteur Aimé Guinard, outre son métier de chirurgien,
fut Président du
Syndicat des Médecins de la Seine, Vice-Président de la
Société Anatomique (en
1896), Secrétaire Général de le
Société Française de Chirurgie, Secrétaire
de
Rédaction du Bulletin Général de
Thérapeutique où il publia de nombreux
articles. Il était aussi médecin-major de 1ère classe de l'Armée Territoriale.
Yvette
Guilbert, chanteuse de café-concert assez célèbre à la fin du
XIXème et au début du XXème, qui fut atteinte à partir de 1900 d'une
grave maladie rénale, en parle ainsi dans ses mémoires, la Chanson de ma vie, parues
chez Grasset : le brave, l'adorable chirurgien Guinard, qui mourut
terriblement assassiné par un fou, à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu,
m'appelait l'enfant du miracle. Fut-elle opérée, ou seulement soignée
par le docteur Guinard ?...
Par décret présidentiel en date du 8 août 1907, sur rapport du
ministre de l'Intérieur, Aimé Guinard est fait chevalier de la Légion
d'honneur.
Vers
12h30, le 12 juin 1911, le
professeur Guinard vient de terminer la visite quotidienne de ses
malades à
l’Hôtel-Dieu, où il est depuis cinq ans directeur de
la clinique chirurgicale.
Accompagné de ses deux internes, messieurs Séguinot et Miginiac
(Jean Gabriel Miginiac,
interne en 1909, deviendra à son tour chirurgien,
très actif pendant la Grande Guerre. Chevalier de la Légion d'honneur
par décret du 20 juillet 1932, il sera professeur de chirurgie à la
Faculté de Médecine de Toulouse. En août 1963, il écrira au dos d'un
faire-part de mariage ce qu'il avait fait pour sauver le docteur
Guinard : page 1,
page 2), il descend tranquillement
l’escalier qui donne
accès à la cour d’honneur. Miginiac se trouve à la gauche du docteur
Guinard, et Séguinot à sa droite. Une
sage-femme, Madame
Fremendity, vient l’aborder
pour lui demander quelques conseils d’ordre professionnel, et lui
recommander
une malade de son service, à laquelle elle
s’intéresse particulièrement. Le
professeur Guinard s’arrête quelques instants et lui
répond, lui promettant de
s’occuper de cette patiente. Le médecin et ses assistants
repartent et longent
la colonnade qui aboutit à la porte donnant sur le parvis de
Notre-Dame, où se
trouve la voiture du docteur Guinard. De derrière une des
colonnes surgit un
homme, qui vient à la rencontre du groupe. Celui-ci brandi
soudain un
revolver ! Une détonation retentit, aussitôt suivie
de quatre autres. Le
docteur Guinard, touché à
bout portant, chancelle…,
puis s’écroule, grièvement blessé ! L'interne Miginiac se jette
sans
réfléchir sur le tireur, se tenant derrière lui et l'ayant attrapé par
les épaules pour le terrasser. Grâce à ce geste héroïque, les balles
tirées se perdirent, dont une dans le pantalon de l'interne Séguinot,
sans le
blesser heureusement. Seule la première balla avait atteint le docteur
Guinard, au
nieau de la région lombaire droite, et était ressorti par la région de
l'ombilic.
L'interne
Miginiac réussit à désarmer le tireur qui réussit à s'enfuir, mais fut
rattrapé et capturé sur la parvis de Notre-Dame, car le concierge (Il
reçut plus tard une médaille) de l'hôpital avait donné l'alerte. Il
était 13h00, et à ce moment-là arrivèrent 8 professeurs et agrégés de
chirurgie de 2 jurys du 5ème examen de clinique chirurgicale. Parmi
eux, deux chirurgiens éminents étaient présents, le professeur
Rochard, de l’Hôpital Saint-Louis, ami du docteur Guinard, et le professeur
agrégé Pierre Duval, de
l’Hôtel-Dieu
Le malheureux docteur Guinard est transporté
dans la salle
d’opération de son service de chirurgie, la salle
Saint-Côme, où les premiers
soins lui sont prodigués. Aussitôt, l’état du
blessé est jugé très grave. Les
coups de feu l’avaient en effet atteint au niveau de
l’abdomen et aux reins,
selon le rapport de Police, le bulletin des médecins
intervenants notant des
plaies pénétrantes multiples à l’abdomen.
Immédiatement
avisés du drame qui venait de se produire, les membres du jury de l'épreuve qui devait se dérouler à
l'Hôtel-Dieu accourent au chevet du blessé
et, assistés du docteur Ombredanne, peuvent pratiquer les opérations
nécessaires, bien que très délicates, une heure plus tard à peine, et donc
avant qu’une grave infection n’ait pu se développer.
Doté d’un grand sens clinique, le docteur Guinard
s’était fait une idée exacte
de son état. Il se savait les reins malades et l’avait
d’ailleurs confié à son
ami le professeur Rochard, qu’il avait lui-même
désigné pour l’opérer, lui
disant Fais-moi une grande incision, explore bien tout
l’intestin et
souviens-toi que les perforations intestinales sont toujours en nombre
pair.
Puis, tout à fait conscient de la gravité de son
état, il ajoutait C’est toi
qui me remplacera dans mon service de
l’Hôtel-Dieu.
Assisté du professeur Duval, le docteur Rochard pratique une
laparotomie
(opération qui consiste à ouvrir l’abdomen. Son but
est le diagnostic ou la
thérapie.). L’intestin grêle est perforé en cinq endroits. Une intervention
permet de suturer ces blessures et de lier des vaisseaux importants
telle
l’artère colique (qui se rapporte au colon) droite
supérieure. Mais une balle a
littéralement "labouré" un des reins, et
une anurie (diminution du volume urinaire
en dessous de 100 ml par jour chez l'adulte, entraînant donc un
empoisonnement
progressif par les toxines qui ne sont plus éliminées)
survint immédiatement
après l’opération. Les médecins et ses
internes ne quittèrent pas le docteur
Guinard d’une minute et tentèrent tout ce qui était
humainement possible pour
sauver leur ami ou leur maître. Seul le patient restait
sceptique, et on le
voyait de temps en temps se tâter le pouls. Le lendemain de son
opération, il
disait à ses internes qui se trouvaient à son chevet Mes pauvres enfants, je
vais vous ennuyer pendant trois jours et le quatrième je
m’en irai.
L’anurie restant complète, ses forces déclinent
petit à petit. Voyant la fin proche, il fit demander un prêtre de ses
amis à son chevet. Après avoir reçu les derniers sacrements il déclara
pardonner à son meurtrier, puis sombra dans le coma.
Le docteur
Guinard meurt des suites de ses blessures à
l’Hôtel-Dieu, le 17 juin 1911, à
1h45, entouré de sa famille, de ses amis, et de ses
élèves. La
déclaration de ce décès est faite à la
mairie du 4ème arrondissement de Paris
le même jour à 15h00, par Jean Grange et Baptiste
Lefeuvre, employés de
l’hôpital. Aimé Guinard est mort avec beaucoup de
stoïcisme, sans se plaindre
de son sort, ni de la douleur, disant simplement : Moi qui
croyais ne
pas avoir un seul ennemi.
Son corps, une fois l'autopsie
ordonnée par le juge d'instruction, et pratiquée par le docteur Balthazard, fut
exposé dans une chapelle ardente dans la cour d'honneur de
l'hôtel-Dieu, et veillé
par un interne.
L'autopsie pratiquée révèlera 2 découvertes :
1° Le rein gauche était énorme, polykystique en grappe de raisin, quasi
détruit. Cela impliquait que le docteur Guinard ne vivait qu'avec le
rein droit.
2° Le rein droit avait était perforé par la balle qui avait atteint le docteur Guinard,
et un fragment de l'organe bouchait l'uretère comme un bouchon dans un goulot.
C'est ce qui avait provoqué l'anurie, puis la mort.
Son nom
était Candido Luis Jacinto Herrero. Il était né le
7 septembre 1874 à Barcelone
(Espagne), d'un père tailleur d'habits. Il était ouvrier
tailleur de profession
(coupeur), marié à Jeannette Dolorès
Llopès, l'une de ses compatriotes, qu'il
avait épousée à Alger le 20 février 1904,
et père d'une fillette de 6 ans.
Après son mariage en Algérie, il avait
séjourné en Tunisie, avant de venir en
France.
Selon
la Presse, Herrero ne semblait pas jouir de toutes ses facultés
mentales.
Pendant plusieurs années, il fut employé dans l'atelier de deux
tailleurs à Perpignan, les atliers Balène et Boy. Monsieur Balène, son
premier patron, raconte au Procureur que lui aussi avait faillit être
une victime d'Herrero. Monsieur Balène lui ayant en effet fait une
observation sur son travail, l'employé s'était jeté sur lui et, armé
d'un ciseau de coupe, lui avait porté plusieurs coups. Monsieur Balène
ne fut heureusement que blessé sans trop de gravité.
En 1911, il habitait 28 allée du Moulin-Joli à la Garenne-Colombes
(Hauts-de-Seine), un petit appartement qu'il louait depuis avril, au
2ème étage d'une villa d'apparence coquette, perdue dans la verdure. Ce
logement comportait deux pièces somairement meublées, et une cuisine.
Il y vivait seul, et sortait peu, sauf pour aller matin et soir dans
une épicerie voisine, chercher trois litres de lait, ce qui composait
l'essentiel de son alimentation. Il se rendait de temps en temps à
Paris, pour prendre ou rapporter l'ouvrage confier par des tailleurs
pour dame de la capitale. La maison où Herrero louait son logement
appartient à une madame Marquilly, dont le mari est employé à
l'imprimerie Chaix. Ses colocataires sont Madame Hannequin, couturière
et Madame Fourchotte. Toute deux font l'éloge du travail d'Herrero,
surtout Madame Hannequin, qui venait souvent dans son atelier. Selon
ces dames, lorsqu'il
souffrait, c'était horrible. Des jours entiers, on l'entendait gémir,
hurler en marchant dans sa chambre, heurter les murs de la tête. Et
lorsque après des luttes pareilles contre la douleur on le voyait aller
à ses provisions, triste et lamentable, sa longue moustache noire
tombante, chaussé de savates éculées, vêtu d'un veston râpé et d'un
sordide pantalon effrangé au bas des jambes, on pouvait lui trouver
triste mine. La veille de son crime, contrairement à ses
habitudes, il était allé avec un ami dans un café proche de son
domicile, et avait consommé une absinthe.
Il avait d'abord été soigné à la Charité et à Beaujon, avant de se
présenter, sur les conseils d'un autre malade, à l'Hôtel-Dieu, au
service du docteur Guinard, en vue de son opération. Il
avait souvent déclaré qu'il avait subi une grave opération que le
chirurgien n'avait pas réussie. Son opération avait necessité des soins
très délicats, et comportait des suites pénibles. Il dut s'imaginer des
choses extraordinaires et ainsi nourrir une haine envers le médecin qui
l'avait pourtant très bien soigné.
Ce 12 juin 1911, ayant certainement prémédité son acte, il s'habilla
avec grand soin, allant même jusqu'à se parfumer. Il monta chez Madame
Hannequin, sa voisine, pour lui rapporter des fers à repasserqu'il lui
avait empruntés. Avant de partir pour Paris, il ferma les volets de son
appartement et ses portes à double tour. Ceux qui l'ont croisé ce jour
là, déclarent qu'il lui ont trouvé son air habituel, et qu'il ne
montrait aucune exaltation.
Aussitôt interpellé, comme nous l'avons vu plus haut, il
est conduit au
commissariat du Quai aux Fleurs. Lors de son interrogatoire, il aurait
déclaré
: Sans raison le docteur Guinard m’a coupé le
rectum, et je n’ai pu lui
pardonner cette mutilation. J’avais juré de me venger.
J’ai tenu parole, je
suis content. Il aurait également déclaré qu'après l'opération,
je ramarquai que tout le monde souriait dans la salle d'opération. Je crus comprendre qu'on se moquait de moi.
D'après le registre de main-courante du
commissariat, il ressort que
Candido Herrero s'était rendu à l'Hôtel-Dieu, ce 12
juin 1911, dans le but
d'attendre le docteur Guinard, qui l'avait opéré
plusieurs mois auparavant, à
la sortie de sa consultation. Il avait au préalable
acheté un revolver de
marque Browning's, de calibre 7,65 mm. Il a tiré à bout
portant sur le docteur
Guinard sous la galerie couverte de la cour, au moment où
celui-ci sortait de
l'Hôtel-Dieu, l'atteignant à l'abdomen et aux reins. Les
témoins ont déclaré
qu'ils avaient bien vu Herrero stationner sous la voûte, mais que
rien ne
paraissait suspect dans son attitude, qu'il n'a prononcé aucun
mot, et qu'il
était impossible de prévoir son geste.
Selon les relations
des faits dans
la Presse, il semble que Candido Herrero souffrait d'un abcès
situé à l'anus, une fistule.
Il s'était fait soigner à l'hôpital de la
Charité, puis à Beaujon, où il fut
traité par l'application de pointes de feu. Ses souffrances
furent tellement
atroces, qu'il suivi les conseils d'un patient qui lui vantait les
mérites du
docteur Guinard, alla le consulter à son cabinet, et ce dernier
lui donna un
rendez-vous dans son service. Après l'opération
pratiquée par le docteur
Guinard, il semblerait que Candido Herrero soit devenu impuissant, ou
bien
incontinent, on ne sait exactement, d’où cette envie de
vengeance. Il estimait avoir été opéré inutilement, et se disait
estropié et dans l'impossibilité de se livrer à un travail régulier.
Il avait d'ailleurs déclaré, qu'il tuerait le docteur Guinard, et
s'était déjà présenté, quelques jours auparavant au domicile du
praticien, rue Godot de Mauroy, et avait tiré un coup de révolver sur
lui, comme le rapporte le Gaulois
du 13 juin 1911 page 4.
Mais l'intervention rapide d'un domestique, qui fut blessé au visage,
avait sauvé le médecin. Par piétié pour son patient, le docteur Guinard
n'avait pas voulu déposé plainte.
L'après-midi
même du 12 juin, il est écroué, à
disposition de Monsieur Beer, juge
d’instruction chargé de l’enquête, qui doit
l’auditionner le lendemain.
Lors de son audition devant le juge d'instruction, Monsieur Beer, le lendemain des
faits, il
aurait demandé au juge l'ai-je tué ? et, devant la réponse du
juge signalant des blessures mortelles, paraissant plein de remords, il
aurait
dit Qu'ai-je fais? en sanglotant. Trois médecins
spécialistes, les docteurs
Ballet, Vallon et Claude, furent nommés par le juge afin de
procéder à
l'analyse psychiatrique de Candido Herrero.
Lors d'une comparution devant le Juge d'Instruction, selon les dires de
son
avocat qui lui avait été commis d'office, Maître
Paul Reynaud, lorsqu'il apprit
la mort du docteur Guinard, Candido Herrero paru très
affecté… et pleura.
L’un
des
premiers hommages à la mémoire de cet éminent
chirurgien, fut que, dès la
nouvelle connue, un grand nombre de personnalités du monde
médical et du
monde politique soient venus à l'Hôtel-Dieu pour tenter de
voir ou d'avoir des
nouvelles du blessé. Ils ne furent cependant pas admis à
la visite, compte tenu
de l'état du patient. Cette affaire fut largement relatée dans de la
Presse : l'Echo de Paris , le Figaro, le Gaulois, l'Intransigeant, le
journal du 13 juin 1911
page 1,
page 4, et du 22 juin 1911
page 2, le
Matin, le Petit Journal, le Petit Parisien, la Presse, le Stéphanois du 14 juin 1911
page 3, du 15 juin 1911
page 2, du 19 juin 1911
page 2, du 23 juin 1911
page 2.
D'autre part, le Président du
Conseil Municipal de Paris
a fait prendre de ses nouvelles. Un certain nombre de Sénateurs
ont pris en
plus l'initiative d'une pétition, à destination du
Ministre de l'Intérieur,
dans laquelle ils demandent la croix d'officier de la Légion d'honneur pour
le docteur
Guinard. La Ville de Paris, à l'annonce du décès,
décida de prendre à sa charge
les funérailles. Le Gaulois du
17 juin 1911, page 5, rapporte que le
président du conseil a envoyé, heir soir, le docteur Le Moignier, chef
de son secrétariat, prendre des nouvelles du docteur Guinard et
annoncer à la famille de ce dernier qu'aujourd'hui il ferait signer le
décret nommant l'éminent chirurgien officier de la Légion d'honneur. Ce décret ne fut
cependant pas signé, du fait de la mort du docteur Guinard, comme le mentionne le Gaulois du 18 juin, page 2.
Dès octobre 1911 s'est constitué, sous la présidence de M. Mesureur, un
comité pour élever un monument à la mémoire du docteur Guinard. Avec la
plus grande partie des souscriptions déjà recueillies en novembre, il
est décidé de fonder un prix qui sera décerné chaque année, par
l'Académie de Médecine, l'Institut ou la Préfecture de la Seine, à une
victime du devoir. Il est également envisagé de baptiser une des salles
de l'Hôtel-Dieu et un bastion-hôpitalau nomdu docteur Guinard.
Le Gaulois du 21 juin 1912, relate la célébration, en l'église de
Saint-Marcellin (Loire), d'une messe anniversaire de la mort du docteur
Guinard, à laquelle une nombreuse assistance s'est jointe à la famille
"voulant ainsi donner à celui qui fut le bienfaiteur des humbles un
nouveau témoignage de reconnaissance".
Le 15 janvier 1913, lors de la séance annuelle de la
Société de Chirurgie, le
docteur E. Rochard prononçait devant cette assemblée une
éloge du docteur
Guinard. Ce discours fut par la suite édité
sous forme d’un fascicule,
que l'on peut consulter notamment aux Archives des l'Assistance
Publique des
Hôpitaux de Paris.
Le mardi 24 juin 1913, à 11h00, dans la cour d'honneur de
l'Hôtel-Dieu, est
inauguré le monument érigé à la
mémoire du docteur Guinard. Ses amis et ses
élèves pour commémorer ce triste
événement et perpétuer le souvenir de ce
savant et de cet homme de bien avaient constitué un
Comité, dont le président
fut Monsieur G. Mesureur, membre de l’Académie de
Médecine et Directeur de
l’Assistance Publique. Le Comité avait
décidé l’érection de ce monument à
quelques pas de l’endroit même où le docteur Guinard
était tombé, victime de
son devoir professionnel. Ce monument se trouve dans la cour
d’honneur de
l’Hôtel-Dieu, contre le mur, à gauche de
l’entrée, faisant le pendant au
monument consacré aux internes victimes de leur
dévouement, lui-même érigé en
1902.
La réalisation du monument avait été
confiée au sculpteur Henri Couteilhas. Il
est en pierre, avec un médaillon en marbre blanc, et
représente une femme
figurant le souvenir, assise sur le socle et tendant une palme vers
l’image du
docteur Guinard, dont le portrait est reproduit dans le
médaillon. Une simple
inscription est gravée : "Au docteur Guinard (1856-1911) ".
Lors de cette
inauguration, outre
la présence de Madame veuve Guinard et ses deux filles, on
pouvait remarquer
celle de Messieurs Marcel Habert, Secrétaire du Conseil
Municipal représentant
la Ville de Paris, Paul Strauss, Sénateur de la Seine et
Vice-président du
Conseil de Surveillance de l’Assistance Publique, Massard,
Conseiller
Municipal, Aubanel, Secrétaire Général de la
Préfecture de Police, le
professeur Landouzy, Doyen de la Faculté de Médecine
représentant la Société de
Chirurgie. Dans l’assistance, on note celle de messieurs les
professeurs
Gilbert et Reclus, les docteurs Roger, Léon Labbé, Bath,
Monod, Rochard,
Lereboullet, Cayla, Rotillon, Potherat, le docteur Pécharmant,
secrétaire du
Comité, le docteur Di Chiara, élève du docteur
Guinard, les docteurs Vimot et
Tartourat représentant le Syndicat des Médecins de la
Seine, le docteur
Gascuel, etc…, ainsi que les membres du Comité, Monsieur
Coq, directeur de
l’Hôtel-Dieu, et tous les médecins, chirurgiens et
internes de l’établissement.
Monsieur
G. Mesureur
prononçait un
discours, offrant le monument à
l'Assistance Publique. Monsieur Marcel Habert,
représentant la Ville de Paris, prononçait un
discours au nom de la municipalité. Puis Monsieur Paul Strauss,
Sénateur de la
Seine, et Vice-présidents du Conseil de Surveillance de
l’Assistance Publique,
prononçait une allocution, faisant ressortir la symbolique du
voisinage du
monument à la mémoire du docteur Guinard, avec celui
à la mémoire des Internes
des Hôpitaux victimes du devoir, honorant ainsi tout le personnel
des hôpitaux,
du plus humble au plus élevé. D’autres allocutions
furent prononcées, notamment
par Monsieur Landouzy, Doyen de la Faculté de Médecine,
et par Monsieur
Delorme, Médecin Inspecteur Général de
l’Armée, au nom de la Société de
Chirurgie.
Cet article a été écrit
en hommage à cet éminent chirurgien, membre de ma
famille, l’année 2006
étant le cent-cinquantenaire de sa naissance. Mais plutôt
que de se lancer dans
je ne sais quelle diatribe, laissons parler la Presse, et surtout ceux
qui l’on
connu, estimé et apprécié :
- C’était, dans toute la
plénitude du terme, un maître,
d’un savoir éprouvé, d’une conscience
admirable. Sa bonté, enfin, était
proverbiale parmi ceux qui avaient eu la fortune de l’approcher.
Sa fin stoïque
a été celle d’un héros, d’un martyr du
devoir, dans un article de
l’Illustration.
- Un homme du plus haut mérite,
d’un grand savoir, d’une
bonhomie délicieuse et d’une inépuisable
bonté, dans le Figaro.
- Une vie où la bonté et
la douceur tenaient une si
large place. Guinard était, en effet, plein de sollicitudes pour
ses malades ;
il avait une très haute conscience de la lourde tâche qui
incombe au médecin,
et il s’en acquittait scrupuleusement, s’efforçant
toujours de soulager le
corps en réconfortant l’âme, par Albert
Prieur.
- Il était bon, naturellement bon,
comme si cette précieuse
qualité était une jolie émanation de
lui-même, et soit qu’elle se manifestât
par une assistance matérielle, soit qu’elle prît la
forme de consolations
morales, sa bonté était inlassable. Tous ses
élèves tous ses amis en savent
quelque chose. Il avait la main qui secourt, la parole qui touche, le
regard
qui va au cœur, et tout cela était fait avec une modestie,
une discrétion
telles qu’on aurait pu croire que c’était lui qui
était obligé ; il ne fallait
du reste pas lui adresser de remerciements ; il vous aurait
répondu que la
bonté trouve en elle-même sa récompense,
qu’il ne faut pas admirer ceux qui
savent donner, mais plaindre ceux qui ignorent une des joies les plus
pures de
ce monde, par le docteur E. Rochard, secrétaire
général de la Société de
Chirurgie.
- Voilà plus de 20 ans que je
connaissais Guinard. Il était
chef de clinique de Verneuil quand j’en étais
l’interne et j’avais conservé
pour lui, depuis cette heure lointaine, une véritable affection
que ne
pouvaient pas ne pas ressentir tous ceux auxquels il avait
été donné de
l’approcher, par J.L. Faure.
Ironie
du sort, l'après-midi du Vendredi-Saint, 29 mars 1918, un obus allemand
creva la voûte de l'église Saint-Gervais, en plein office religieux. Le
bilan est lourd, puisqu'on relèvera des décombres 178 victimes, dont 89
tués et 90 blessés.Comme le raconte le docteur MIGINIAC en 1936, on
porta soixante-quinze cadavres dans la cour de l'Hôte-Dieu. Un d'eux,
celui d'une dame à cheveux blancs, fut déposé par hasard à l'endroit
même où le docteur Guinard avait été assassiné sept ans plus tôt :
c'était celui de la veuve.
La fin d'Herrero
L'interne Miginiac
ayant revu Herrero au parquet, le décalrait demi-fou, persécuté,
et ayant voulu se suicider à la prison de la Santé. Il disait aussi
qu'Herrero avait été transféré à Fresnes, dans une cellule capitonnée.
Herrero fut interné à la prison de la Santé, en attente de comparaître
pour son procès devant le Cour d'Assises. Par deux fois il essaya de se
suicider, sans y parvenir. Plus tard, il se frappa la tête contre les murs de sa
cellule et fut retrouvé évanoui, s'étant fait de graves blessures qui
nécessitèrent son transport à l'infirmerie de la prison de Fresnes". A
peine guéri, il chercha de nouveau à se suicider et, trompant la
vigilance de ses gardiens, il confectionna, au moyen de petites
bandelettes de toile qu'il avait découpées dans son caleçon, un lien
solide avec lequel il se pendit à la fenêtre de sa cellule le
9 octobre 1911.
Ce dénouement explique pourquoi on ne trouve aucune trace de procès dans les archives judiciaires...
Les suites de cet article
J’ai été contacté en 2021
par une journaliste qui était chargée d’écrire des articles pour l’été dans le
journal Le Parisien. Cette journaliste souhaitait «m’interviewer» par
rapport à l’article ci-dessus, en qualité de membre de la famille du docteur
Guinard. Suite à ce contact,elle a réalisé un bel article intitulé Le crime
de l’Hôtel-Dieu : et le patient «estropié» et «humilié» assassina son
chirurgien, par Caroline Piquet, paru le 21 juillet 2021.