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           Messieurs,

 

    Lorsque j’assistais, le 21 juin 1911, le cœur serré et les yeux pleins de larmes, aux impressionnantes et solennelles obsèques du docteur Guinard, lorsque j’écoutais M. le Directeur de l’Assistance Publique promettre qu’un monument s’élèverait à la place même où ce martyr de la science venait de tomber lâchement assassiné, je ne me doutais pas qu’un an plus tard, la mission me serait confiée de représenter la Ville de Paris à l’inauguration de ce monument.

    Ce n’était pas seulement, en effet, le personnage officiel, le savant chirurgien, la noble victime du plus stupide des attentats, c’était encore, c’était surtout l’ami très cher dont je connaissais depuis trop peu de temps les charmantes qualités de cœur et d’esprit, dont je pleurais la perte irréparable.

    Aussi, est-ce avec autant d’émotion que de fierté que j’ai accepté l’honneur de venir apporter aujourd’hui à la mémoire de ce grand travailleur et de ce grand honnête homme l’hommage de la Cité parisienne.

    Messieurs, tout a été dit, il y a deux ans, à cette même place, sur la science, sur la probité professionnelle et sur l’inépuisable bonté du docteur Guinard.

    Encore sous l’impression de l’effroyable drame qui venait d’interrompre si brusquement une vie si utile, tous les orateurs ont évoqué le contraste saisissant qui existait entre l’amour dont cet homme excellent n’avait cessé de faire preuve pour ses malades, et le monstrueux attentat dont il venait d’être victime. Tous ont puisé dans la remarquable leçon d’ouverture dédiée à ses élèves et prononcée par lui en 1906 en prenant possession de son service à l’Hôtel-Dieu, la preuve des sentiments de délicatesse, j’allais dire de tendresse professionnelle qui remplissait son cœur indulgent. Tous ont conclu que nul moins que le docteur Guinard n’était désigné pour servir de but à la rancune d’une brute ignorante.

    Tous ont fait ressortir ce qu’il y avait d’injuste et de paradoxal à voir frapper comme une sorte de victime expiatoire qui s’étant fait l’apôtre de la douceur et de la patience chirurgicale, s’attachait chaque jour à mettre en pratique ses théories compatissantes.

    Messieurs, à mon tour, je veux m’emparer de cette leçon et de cet enseignement, mais je crois répondre au vœu même de notre cher mort, à la modestie de son caractère et à la noblesse de son âme en reportant au corps chirurgical tout entier l’hommage qui lui fut alors personnellement rendu.

    Je relisais hier encore l’éloge du docteur Guinard prononcé devant la Société de chirurgie par son secrétaire général, M. le docteur Rochard. J’y voyais retracée avec une précision aussi éloquente qu’affectueuse, toute cette vie de droiture et de science.

    J’y retrouvais la trace des pénibles débuts, du labeur acharné, des lents efforts d’ascension vers des postes d’honneur qui sont en même temps des postes de travail et de péril; j’y  constatais la simple existence d’un honnête homme qui ne cherche que dans les délassements intelligents d’un esprit lettré et dans les joies pures de la famille le repos mérité après tant d’heures passées au chevet des malades. Et je songeais quel admirable exemple de philanthropie et de désintéressement donnent chaque jours ces grands savants, chirurgiens et médecins de nos hôpitaux qui, ayant difficilement conquis l’illustration et pouvant facilement conquérir la fortune, restent toujours les serviteurs des pauvres et consacrent la plus grande partie de leur existence à donner gratuitement à la foule souffrante des misérables les soins précieux de leur science incomparable.

    C’est cependant contre ces modèles de devoir et de bonté que se déchaînent trop souvent des critiques aussi injustes que passionnées.

    Pendant qu’ils ne songent qu’à prodiguer aux malheureux les trésors de leur science et de leur habilité professionnelle, la calomnie qu’ils dédaignent excite et arme contre eux l’ignorance et la brutalité d’un assassin.

    Messieurs, c’est à nous qu’il appartient de protester au nom de ces hommes de bien et de leur rendre publiquement l’hommage qui leur est dû.

    Nous qui les voyons à l’œuvre, nous qui savons de quelle somme de dévouement et d’abnégation est faite leur vie de labeur et de science, nous avons le devoir de nous incliner devant eux et de ne pas attendre qu’ils soient lâchement frappés pour proclamer hautement la vérité.

    Aussi, en élevant à la mémoire du docteur Guinard ce beau monument qui perpétuera le souvenir des services rendus par lui à la misère humaine, ce n’est pas seulement sa personnalité regrettée que nous avons voulu honorer, mais c’est dans la noble fonction qu’il a si bien exercée, l’être de devoir et de science, dont il fut la personnification la plus haute, à laquelle la population parisienne doit tant de gratitude et de reconnaissance et qui s’appelle le chirurgien des hôpitaux.


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