Le Navarin


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Caractéristiques

Le Navarin était un vaisseau de 100 canons à voiles du même type que le Fleurus, propulsé par une hélice, avec une machine Schneider de 650 chevaux, avec une voilure de 2762 m². Ses dimensions étaient de 62,86, par 16,84, par 7,82 mètres, pour un déplacement de 4920 tonneaux. L'équipage était composé de 883 hommes. Quant à l'armement, il se composait de 2 canons de 14 centimètres et 1 canon de 12 pour la première batterie, 5 canons de 4 centimètres pour la seconde batterie, et 2 canons de 14 centimètres et 1 de 12 sur le gaillard.
Le Navarin fut sur cale en mai 1832 et transformé en 1853. Le lancement fut effectué le 26 juillet 1854, avec une mise en service le 17 octobre 1854, avant d'être rayé le 13 juillet 1886.

Le Navarin et le bassin des Torpilleurs 
à Brest

Historique

Le navarin est construit à Toulon en 1832. Il est remis à l'eau en 1854 après avoir été transformé.
Suite à la guerre de Crimée, à laquelle il participe, le navire appareille de la baie de Kamiesch, près de Sébastopol, le 28  juillet 1855 à destination de Toulon, avec à son bord des blessés.

Le 9 septembre 1857, le vaisseau est désarmé.
Le 23 août 1862, le navire quitte Toulon pour effectuer le 1er convoi du 5ème départ de troupes pour l'expédition du Mexique. Il transporte le 95ème de ligne du général Castagny, soit 1046 hommes et 25 chevaux. On le retrouve ensuite en escale à Ténériffe le 1er septembre, et il arrive à Vera Cruz le 16 octobre 1862.
On doit à Bertrand Puel (merci à lui pour cet envoi) un scan d'une gravure de cette époque représentant le navire où un de ses ancêtres, Pierre Gicquel, était marin.
Le 3 janvier 1863, le Navarin accoste à Toulon, venant de Vera Cruz. Au cours de ce voyage, le navire avait fait escale à San Yago de Cuba (sic), et à Madère.
Le 5 juillet 1866 il est en carénage à Toulon, avant d'appareiller le 6 janvier 1867 en direction de Vera Cruz. Il arrivera au Mexique le 1er mars 1867, pour l'évacuation de troupes. Le 12 mars 1867, le Navarin appareille de Vera Cruz pour la France, ayant embarqué 1174 passagers (3 officiers supérieurs, 35 officiers subalternes et 1136 hommes de troupe). 
En 1873, le vaisseau est transformé en transport à voiles. De 1876 à 1885, le Navarin effectuera le transport de forçats et de déportés vers la Nouvelle-Calédonie.
Pour l'un de ces voyages du 3 novembre 1884 au 18 février 1885, un militaire affecté au 3ème régiment d'Infanterie de Marine, et qui avait effectué une mission en Nouvelle-Calédonie depuis le 22 octobre 1882, nommé Hippolyte Moreau, était  rapatrié sur la Métropole. Pour ce trajet de retour, le navire avait emprunté le canal de Suez.
Fin 1885, le Navarin effectue un nouveau voyage vers la Nouvelle-Calédonie. En effet un artilleur originaire des Deux-Sèvres, Charles Bouffard, est compté en campagne sur la Navarin du 8 septembre 1885 au 6 janvier 1886, puis en Nouvelle-Calédonie du 7 au 17 janvier 1886.
Le navire sera ensuite rayé des listes le 13 juillet 1886, avant de servir de bâtiment central de la défense mobile en 1889 et 1890.
Le Navarin sera démoli en 1908, comme le montre une estampe.

Le Navarin en 1854

17ème convoi de déportés 

Le 13 juin 1876, le Navarin quitte Toulon pour l'île d'Aix, sous les ordres du capitaine de Vaisseau Brosset, avec 416 membres d'équipage.
Malheureusement, les livres de bord n'ayant pas été conservés, on ne peut que faire des hypothèses concernant son voyage. Au vu de la durée de celui-ci, on peut penser que le navire a fait une escale de 10 jours à Alger, pour prendre en charge des condamnés algériens du dépôt de Maison Carrée. Une seconde hypothèse ferait rester le Navarin au mouillage de l'île d'Aix, en attente de son chargement de prisonniers. Cependant, le rapport médical du médecin-major Geffroy prouve que le navire a fait une escale de 52 jours à l'île d'Aix avant d'appareiller pour la Nouvelle-Calédonie.
Il en avait profité
pour embarquer 49 marins passagers, 277 militaires, et 43 civils, plus 360 transportés et un condamné tahitien.
En plus des forçats destinés au bagne de la Nouvelle-Calédonie, le navire embarque 10 déportés de la Commune et 2 arabes (3 des déportés sont condamnés à la déportation en enceinte fortifiée et 7 à la déportation simple). Ces douze prisonniers avaient été extraits de la prison de Saint-Brieuc, et avaient rejoint La Rochelle par chemin de fer, puis le dépôt de Saint-Martin-de-Ré par bateau. La plupart de ces déportés ont été condamnés par contumace aussitôt après la fin de la Commune, et ont été repris, ou se sont rendus volontairement, en espérant la clémence de la Justice.
Le 4 août 1876, le Navarin lève l'ancre et se dirige sur Dakar, au Sénégal. Il semble cependant que le navire soit parti le 2 août de l'île d'Aix, comme l'atteste le tampon en bas de page à gauche du dossier de bagnard de François Jourdy, matricule 8478, condamné à 5 ans de travaux forcés pour fabrication de fausse monnaie. A moins que ce tampon n'indique la date d'embarquement.
Après quelques jours d'escale à Ténériffe du du 15 au 19 août, et au vu de la longueur du voyage, il prend vraisemblablement la route du Brésil, puis passe le Cap de Bonne Espérance. Toujours est-il que selon un manuscrit de souvenirs de François Renard, soldat parti pour Tahiti, dans la nuit du 25 au 26 août 1876, le navire se trouve par 76° de longitude et 46 de latitude, à 900 lieux par le travers de Saint-Paul d'Amsterdam, c'est à dire en plein océan Indien, comme le montre un dessin signé au dos S. Hoare, Photographer, Papeete, Tahiti. C'est à ce moment que le navire aurait perdu son gouvernail. Le Navarin fera donc une escale inopinée à Freemantle, en Australie, du 19 novembre au 7 décembre 1876, afin d'effectuer la réparation. Les fruits et légumes frais chargés et consommés à cette occasion permettront de soigner 26 scorbutiques, dont 17 parmis les condamnés.
Le Navarin arrivera à Nouméa le 6 janvier 1877 d'après le rapport médical du médecin-major Geffroy (Selon François Renard, la date serait différente). Le rapport mentionne 8 décès au cours de la traversée, dont 5 transporté et un déporté,
un des deux arabes embarqués, et qui seront immergés.
Le 27 janvier 1877, le Navarin quitte Nouméa à destination de la France, embarquant 161 déportés rapatriés (44 libérés, 93 dont la peine est commuée en détention, 7 dont la peine est commuée en emprisonnement, et 17 dont le peine est commuée en bannissement). En plus de ces rapatriements, le navire embarque 60 femmes et enfants, 80 marins, 188 fantassins, 47 artilleurs, et 125 passagers "divers", soit un total de 661.
Pour ce voyage l'itinéraire emprunté est la route du Pacifique, par Tahiti, avec escale du 6 au 17 mars, puis le Cap Horn. Il fait ensuite une autre escale de deux jours à Bahia, au Brésil, du 5 au 7 juin, avant de se diriger sur Dakar, et d'arriver à Brest le 25 juillet 1877. Pendant cette traversé de retour, il y aura 14 décès.

Itinéraire du Navarin

Liste des condamnés à la déportation en enceinte fortifiée : François Adrien DAVID dit Prolétaire, Jules DERO, Auguste Nicolas ZEGUT, et un arabe.
Liste des condamnés à la déportation simple : Auguste Joseph Edouard CAUDEVELLE, Isidore Ambroise DUFOURD, Joseph Léopold Auguste GEORGE, Gustave LONGUET, Edouard Arthur MASSARD, Edmond Pierre REFRAY, Ernest François VALEGAN, et un arabe.
Pour tout renseignement concernant ces prisonniers, vous pouvez me contacter ici.

19ème convoi de déportés

Le 30 septembre 1877, le Navarin embarque 6 Communards et 7 arabes, qui avaient été extraits du dépôt de Saint-Brieuc et qui mettront 8 jours pour atteindre Brest. Il rejoint ensuite l'île d'Aix pour y charger des forçats destinés au bagne de Nouvelle-Calédonie. Il appareillera le 11 octobre 1877 en direction de Nouméa. Il y avait à bord 416 hommes d'équipage, 215 marins et soldats passagers, 50 passagers civils, 1 gendarme et 5 surveillants avec 21 membres de leur famille, 400 transportés et 13 déportés, soit un total de 1141 personnes, et le commandant était le capitaine de vaisseau Bouju. Le Navarin ne fera qu'une escale à Ténériffe du 27 au 30 octobre 1877.
Sur les 6 Communards de ce dix-neuvième convoi, un seul Graffin est condamné à la déportation en enceinte fortifiée, les autres étant condamnés à la déportation simple. Parmi les arabes embarqués, 2 sont condamnés à la déportation simple, les 5 autres étant condamnés à la déportation en enceinte fortifiée.
L'un des Communards, Louis Barron, prétend que la cage de la batterie basse dans laquelle il est logé avec ses compagnons de voyage ne mesurait que16 mètres cubes (soit 4 sur 2 sur 2 mètres), ce qui semble ridiculement petit, et paraît impossible pour loger les 6 condamnés et placer leurs 6 hamacs. IL semble plus plausible que cette surface soit de 16 mètres carrés, mais le confort n'est ni meilleur ni pire que pour les autres convois. Dans cette batterie, il y a peu d'air et un seul hublot vitreux ne laisse filtrer que peu de lumière. Les sabords sont fermés par des grilles. Les prisonniers, s'habituant petit à petit à cette pénombre, arrivent à se déplacer sans se cogner partout. Cependant la lecture et l'écriture leur de fait interdite, et l'oisiveté s'installe, mettant les caractères à vif. En effet les plus polis deviennent grossiers et les généreux avares. Dans ses souvenirs (Sous le Drapeau rouge, chez Albert Savine éditeur, Paris, 1889, pages 212 à 219) Louis Barron nous livre une anecdote de cette traversée :
"Joseph, dit "La Terreur", étalait si franchement son égoïsme naïf qu'en vérité il nous amusait beaucoup. Il n'avait rien vu de pareil, même chez les "joyeux", même à bord du Royal-William. Il arpentait à grands pas la partie libre de la cage, gémissait, aspirait bruyamment, comme pour pomper tout l'oxygène du taudis. Jamais, il n'avait souffert ainsi, jamais lui, Joseph, dit "La Terreur", un si beau garçon, si chéri des femmes ; si ce n'était pas un malheur ! Il en oubliait de lisser et de ramener ses cheveux en accroche-cœurs. Ah ! Personne ne souffrait comme lui, n on personne. Ce n'était pas possible !".
Louis Barron raconte que le 14 octobre 1877, alors que le Navarin se trouva dans le golfe de Gascogne, les déportés essaient d'organiser une manifestation politique, mais une tempête met fin à leur projet. Les Communards doivent même se cramponner à ce qu'ils trouvent pour pouvoir regagner leur cage. Pour ne rien arranger, ils entendent les chants nostalgiques provenant des forçats qui se trouvent dans la batterie haute. Et les passagers libres, comme dans les autres convois, ne se privent pas de venir voir les fauves "à la ménagerie".
Louis Barron ne raconte presque rien d'autre sur le reste de la traversée, hormis qu'il donne une position dans les mers australes. Le Navarin atteint la Nouvelle-Calédonie le 24 janvier 1878, après 105 jours de voyage. Il est au mouillage en rade de Nouméa le 25 janvier 1878. Le navire a dû relâcher à Dakar, puis virer de bord dans l'Atlantique Sud, pour doubler le cap de Bonne Espérance, sans passer par le Brésil.
Selon François Renard, cité plus haut, le Navarin avait quitté l'île d'Aix le 11 octobre 1877 à 11h00 en direction de Santa-Cruz. Il faisait ensuite escale à Tenerife du 26 octobre à 7h45 au 30 octobre à 10h00. Le 11 novembre 1877 le navire passait le "Pot au noir", puis l'équateur le 17 novembre.
Le Pot au Noir, ainsi appelé familièrement par les marins est la zone de convergence intertropicale (ZCIT), connue également sous le nom de zone intertropicale de convergence (ZIC), de front intertropical ou de zone de convergence équatoriale, ceinture de quelques centaines de kilomètres du nord au sud, qui est une zone de basses pressions entourant la terre près de l'équateur. Cette zone est constituée de masses d'air  chaudes et humides anticyclonique en provenance des tropiques et portées par les alizés. la convergence de ces masses provoque des mouvements convectifs des cellules de Hadley et se caractérise en général par des formations importantes de cumulonimbus, nuages qui sont à l'origine des orages. Cette zone de convergence oscille autour de l'équateur passant de l'un à l'autre des hémisphères nord (en juillet) et sud (en janvier) selon un cycle annuel. On peu aussi observer dans cette zone un cycle diurne, où les cumulus de la matinée se transforment en orages l'après-midi. En climatologie, la ZCIT correspond à l'équateur météorologique (EM). C'est aussi la ZCIT qui est à l'origine des moussons dans certains pays. A noter qu'au XIXème siècle un pot-au-noir désignait une situation peu claire et dangereuse.
Le Navarin, une fois passé l'équateur ne se dirigeait pas sur le Brésil, puisqu'il passait le cap de Bonne Espérance le 9 décembre 1877. Le 23 décembre, il passait en face de l'île de la Possession, puis en face des îles Kerguelen le 27. Le 8 janvier 1878 il était au large de la Tasmanie et le 24 janvier à 14h00 il était en rade de Nouméa. Le rapport du médecin-major Geffroy fait état du décès de 4 transportés pour ce voyage, dont l'un d'une lésion organique du coeur, 2 de pneumonie, et le quatrième d'un phlegmon iliaque.
Le Navarin repartira de Nouméa le 19 février 1878 à 8h40, embarquant 675 passagers, dont 79 déportés pour leur rapatriement, 4 libérés, 77 dont la peine est commuée en détention, et 2 dont la peine est commuée en bannissement). Toujours selon François Renard, le navire effectuait le passage des antipodes, par 180° de longitude, le 6 mars 1878, avant d'entrer en rade de Tahiti le 1er avril 1878.
Lors de son son entrée en rade de Tahiti, en ce mois de mai 1878, le port de Papeete, n'ayant pas de pilotes brevetés à ce moment-là, n'a pu fournir qu'un apprenti. Cela eut pour conséquence une mauvaise route dans la passe et le fait que le navire touche un récif, contre lequel il abîma son gouvernail. Ce fait est attesté pas un courrier émanant de la Division Navale de l'Océan Pacifique, qu'un extrait de rapport du commandant du Navarin du 7 avril 1878, document signé Bouju.
Ayant quitté Tahiti le 18 avril, le rapport du médecin-major Geffroy mentionne que le 13 juillet le Navarin communiqua avec le navire de commerce anglais Olga, qui demandait un médecin. Le bâtiment venit d'Opobo  (baie de Biafra), et avait plus de 100 jours de mer. Je me rendis à bord, et je trouvais un homme atteint de scorbut à un degré très avancé. Trois autres présentaient aussi des symptômes scorbutiques, mais tout à fait au début. Le capitaine [...] me dit qu'il avait perdu trois hommes de fièvre rémittence bilieuse [...]. Nous donnâmes à l'Olga de l'eau, de la farine et du jus de citron.
Le Navarin sera de retour à Brest le 25 juillet 1878, ayant eu 5 décès au cour du voyage.

Liste des condamnés à la déportation en enceinte fortifiée : Louis Jean Désiré GRAFFIN, et cinq arabes.

Liste des condamnés à la déportation simple : Louis Benjamin BARON (ou BARRON), Jean-Pierre Eugène FOIX, Henri Auguste GUERITTE, Jean JOSEPH, Nicolas Octave LEDANTE, et deux arabes.


Rapatriements

Le Navarin participera au rapatriement des Communards par deux fois. Le 3 juin 1879, après avoir déposé un nouveau contingent de forçats au bagne, le Navarin quitte Nouméa.
De fin juin 1878 au 11 mai 1879, un certain Eugène PIGEON, sergent dans l'Infanterie de Marine, originaire de Pontaumur, dans le Puy-de-Dôme, a accompagné des forçats sur le Navarin. Tiré au sort, il avait été astreint à près de 6 ans de service. Dans une lettre datée de Brest qu'il a écrite le 19 janvier 1879, il fait état de cette série d'avaries, des deux faux départs avec retour à Brest pour les réparations. 
Un maître d'hôtel du Navarin, Narcisse BARRET, raconte dans un livre ce voyage aller et retour. Un soldat, sapeur à la 43ème compagnie du 3ème régiment d'Infanterie de Marine, François DENIS, faisait partie du nombre des passagers. Il allait en Nouvelle-Calédonie pour le service de la surveillance du Bagne, et il raconte également ce voyage aller et retour dans ses carnets.
Le Navarin avait donc quitté Brest le 20 décembre 1878, pour mouiller à Rochefort le 24. Le 27 décembre vers 13h00, 200 soldats sac au dos accompagnés de deux officiers de l'Infanterie de Marine, les 43ème et 44ème compagnies du 3ème régiment d’Infanterie de Marine. Le détachement quitte la caserne des Charentes à Rochefort, musique en tête, accompagné du chef de corps, Monsieur LAURANT on traversa la ville. Tous les habitants du haut des fenêtres disaient au revoir à ces braves qui allaient dans un pays lointain défendre l’honneur de la France. Ces hommes sont destinés à assurer la sécurité à bord du navire pendant le voyage, avant de relever 2 compagnies en poste en Nouvelle-Calédonie. Les officiers sont Monsieur COVIER, capitaine et chef de détachement et Monsieur RICOURT, sous-lieutenant d’infanterie. Le transfert entre le port de Rochefort et le Navarin, au mouillage à l’île d’Aix est assuré par la Comète, puis par deux chaloupes effectuant la navette entre les deux bâtiments. François DENIS raconte sa montée à bord : Il fallut comme de juste attendre son tour pour descendre, ce qui arriva à 8 heures du soir et avec une pluie battante. Quand je me vis dans cette barque où l’eau venait presque à rentrer et qui la lançait comme un drapeau au vent, je ne savais plus où j’en étais. La joie commence à renaître : j’attrape l’échelle d’espérance, je monte. Quelle surprise en arrivant là-dedans. On croyait arriver dans un galère et, à dire la vérité, l’on ne se trompait pas beaucoup. Le 28, les passagers libres embarquent, puis ce sera le tour 364 forçats. Mais le navire resta deux jours encore au mouillage.
Le 31 décembre c'est le départ pour Nouméa. Cependant, suite à une tempête, 11 heures après le départ, survient une grave avarie du mât de misaine (Le mat de perroquet du mat de misaine fut emporté mais il ne causa pas d’accident), qui oblige le navire à revenir au port pour effectuer les réparations nécessaires. Le 6 janvier 1879, nouvel appareillage mais, en rentrant dans le Golfe de Gascogne tous les vents semblaient se déchaîner sur nous…Ce fut l’affaire de 4 à 5 jours…Les pauvres mats qui ne pouvaient plus résister commencèrent à se disloquer. Le 12 janvier, à midi, on s’aperçut que le grand mat était ébranlé jusque dans la cale du navire et même le bateau faisait de l’eau. Suite à cette voie d’eau, le commandant donne l’ordre de revenir sur Brest pour réparer.
Le Navarin s’y trouve le 15 et le lendemain, le Calvados vient en rade, afin que les 364 forçats y soient transférés le temps de la réparation, ainsi que et la 44ème compagnie pour les garder. La 43ème compagnie débarque et est stationnée à Pontanezen pour le temps des travaux. Le Navire entre à l'Arsenal le 17 pour être démâté. Les dégâts ne sont pas aussi graves qu'envisagés au départ, mais une fausse manœuvre d'un remorqueur abîme le navire et il faut prolonger les réparations .
Le 25 janvier, les troupes et les forçats rembarquent, et le départ pour la Nouvelle-Calédonie à enfin lieu le 27 janvier 1879. Le Navarin avait mauvaise réputation auprès des marins, car à chaque voyage il y avait des incidents ou de graves avaries. Il passait pour n'avoir pas de chance, ce qui semble confirmé par ce qui précède, et l'on connaît la légendaire superstition des marins! ...
Peu après ce nouveau départ, un soldat est blessé assez sérieusement à la tête, et il sera débarqué à Tenerife pour rapatriement. Le 5 février, un forçat se pend avec la corde de son hamac. Il avait été condamné à 22 ans de travaux forcés, et avait déjà tenté par deux fois de se suicider. Le lendemain, c'est un marin de l'équipage qui décède, et les deux corps sont immergés selon l'usage. Le 10 février la terre est en vue, et le lendemain, le Navarin mouille à Santa Cruz de Tenerife.
François DENIS donne une description assez détaillée de Tenerife : Au pied d’une grande montagne inaccessible, sur le bord de la mer, on aperçoit une petite ville entourée de verdure magnifique. On y remarque la place de la Constitution et le fort, qui éclate à 10 lieues aux alentours. On y remarque encore deux lions traversés par une épée ensanglantée et semblant vomir le feu. On récolte dans cette île oranges, bananes, dattes, figues, café, tabac et quelques légumes et quelque peu de grains, mais bien peu. Les habitants sont espagnols et ils ont le même costume que les Français. Dans ce pays, les oranges valent 4 fr. le cent ; les bananes la même chose. Le paquet de tabac, 75 centimes les 100 grammes et les paquets de cigares de 25, valant 1 franc.
Après avoir fait des provisions de bœufs, de moutons, de volailles ou charbon pour les cuisines, enfin toutes les provisions toujours utiles pour la Traversée, le vendredi 14 février à 7 heures du soir, le bateau reprend la mer.
Le 16 vers 2 heures de l’après-midi, donc 2 jours plus tard, la flèche du mât d'artimon casse. Dans sa chute, elle entraine la flèche du grand mât, dont le paratonnerre manque de peu 2 soldats de l'Infanterie de Marine, avant de tomber à la mer. Le soir même la réparation est effectuée, mais le commandant préfèrera ménager le mât d'artimon tout le reste du voyage, ce qui en allongera encore la durée. Le 24 février, à 12 heures précises, un forçat d'environ 62 ans, malade depuis Brest, décède et est immergé le même jour.
Deux jours plus tard, 26 février jour des cendres, c'est le «passage de la ligne», c'est-à-dire le franchissement de la ligne de l'équateur, une des traditions maritimes qui ont perduré, constituant encore aujourd'hui un rite important dans les marines nationale et marchande, française et occidentale. Cette cérémonie initiatique, durant laquelle les barrières de grades et de fonctions n'existent plus, se déroule de la manière suivante : les marins et passagers qui traversent pour la première fois la ligne équatoriale en bateau sont invités à se présenter devant sa majesté Neptune. Pour être autorisés à franchir sans encombre cette zone redoutée entre hémisphère nord et hémisphère sud, ces «novices» doivent payer un tribut au roi des mers et des océans et recevoir le «baptême». Pour ce faire, les anciens se déguisent pour endosser les rôles du dieu Neptune et de son épouse Amphitrite, mais aussi en astronome, juge, évêque de la ligne ou encore en «sauvages». Les nouveaux sont alors conviés à des festivités durant lesquelles ils auront à passer diverses épreuves ; l'une des plus célèbres est l'immersion dans la piscine improvisée sur le pont ou à la lance à incendie. Une fois cette cérémonie terminée, les baptisés, devenus «chevalier des mers», reçoivent un certificat de passage de la ligne. Mais attention! Ce diplôme doit être précieusement gardé et présenté à chaque passage de ligne suivant, sous peine de devoir se présenter à nouveau devant le roi des mers et des océans...
François DENIS nous donne encore une description assez précise de la fête de la Ligne : La veille, on monta des haricots dans les hunes, mêlés avec des petits pois et beaucoup d’aux. La fête est annoncée la veille au soir par un défilé de masques et de clairons de toute espèce. Un homme représentant le père La Ligne, un autre, madame La Ligne et tout cela, richement vêtu, le reste des masques marchant derrière les deux autres premiers, accompagnés des clairons. Quand tout cela est en train de défiler, l’équipage ainsi que les passagers ne manquent pas de suivre tous ces vauriens-là qui, une fois que vous êtes sous les hunes, ne manquent pas de donner le signal et, aussitôt une grêle de pois et d’haricots et d’aux tombe de toute part, comme une grêle dans un grand orage. Et le lendemain, encore pire : on organise une espèce de caisse pleine d’eau, cachée dans des toiles préparées à cet effet et, une fois qu’elles sont pleines d’eau, on recommence le défilé comme la veille. On vous fait à tour de rôle passer devant cette baille et après vous avoir noirci la figure et les pieds que vous devez avoir tous nus, on y ajoute un perruquier à cette cérémonie, qui se tient ici prêt avec un grand rasoir et une paire de ciseaux et un peigne. Tout cela est en bois. Après vous avoir coupé les cheveux et rasés, il vous demande si cela vous va bien. Que ça vous va ou que ça ne vous aille pas, c’est la même chose : vous recevez bientôt une bousculade qui vous fait tomber dans la caisse d’eau qui vous passe pardessus la tête. C’est ce que l’on appelle le baptême du tropique. Attendu que l’on fait cette fête juste le jour où l’on passe de l’autre côté du soleil. Eh bien donc, ce riche bapteme, je l’ai reçu le 26 février à 2 heures de l’après-midi, jour des cendres . Narcisse Barret donne une description encore plus détaillée de ce rituel du passage de la Ligne.
Le lendemain le Navarin passe près de l’île San Fernando, au Brésil : Habitée par les forçats du Brésil, cette île représente un mamelon coupé en deux, des rochers formidables en formant l’ornement. Dans ces parages les vents sont tellement vigoureux de telle sorte que nous l’avons doublée cause du vent contraire. Le commandant a donné l’ordre de contourner l’île, et c’est ce que l’on a fait ; on l’a contournée à un quart
Le 7 mars, le Navarin porte aide et assistance à un navire anglais en détresse. Une chaloupe où avait pris place une femme et 4 matelots aborda le navire. Cette dame, la femme du capitaine du bateau anglais fit sensation à bord, et notamment auprès de François Denis. Le navire anglais, qui se rendait en France, fut ravitaillé en farine, lard, biscuit, viande, café, sucre et eau douce. Du courrier à destination de la France fut confiée à la femme du capitaine, qui regagna son navire, avant que celui-ci ne reprenne sa route. Pour Francis Barret, le navire s’appelle le Milton est retourne vers l’Angleterre. Il parle d’une jeune femme qui est la fille du capitaine du navire anglais. 
Le 8 mars, un soldat de la 44ème compagnie, de service de pompage, refuse de continuer à pomper malgré l’ordre reçu. Ce soldat est traduit le 11 devant le Conseil de guerre (ou conseil de Justice) du bord, qui le condamne à 1 an de prison, peine réduite le lendemain à 6 mois après un second Conseil. Le 28 mars (le 18 selon Narcisse Barret), un requin-marteau est pêché, écorché, dépecé et profite à tout l’équipage. Un, ou deux, selon les récits, requins furent pêchés les jours suivants. Le 3 avril, le Navarin double le cap de Bonne Espérance, et le 10, un matelot meurt à l’infirmerie. Deux jours plus tard, le navire passe près de l’archipel du Crozet (François Denis parle des îles Maria Grosset et de la Prossession, quant à Narcisse Barret, il parle des îles Marion et Creset. Mais il s'agit bien de l'île de la Possession et de l'île de l'Est avec son mont Marion-Dufresne, dans l'archipel du Crozet). 
Le 22 avril, deux forçats qui se trouvaient au cachot rompent leurs menottes et les donnent au surveillant à destination du commandant avec ce message : voici ce que nous faisons de vos menottes, selon François Denis ou, tiens, va porter ça à ton commandant, voilà ce que j’en fais de ta ferraille, selon Narcisse Barret. Ils sont alors enchaînés avec une chaine de 15 kilos, et le lendemain ils sont mis à la barre de justice les mains attachées dans le dos, chacun dans un cachot, mais toujours enchaînés, ce qui les obligeait à se tenir constamment accroupis. 
Le 30 avril, le cap de Tasmanie est doublé, le 8 mai le navire passe en vue de l’île de Norfolk :
Cette île, elle forme trois autres îles, est habitée par les forçats anglais. Sa production, suivant ce que l’on nous a dit, que l’on a pu savoir, est à peu près la même que celle de la Nouvelle [-Calédonie]. Comme nous passions pas loin, on apercevait de l’œil les cocotiers magnifiques. Ce qu’il y a de curieux, se sont ces rochers qui sont au bord de la mer. Ils sont d’une hauteur qui s’élève au moins à 300 ou 400 mètres au-dessus de l’eau . Le 10 mai su soir, le phare de Nouméa est en vue, et l’on voit également les montagnes de l’île. Le lendemain à 7 heures, le pilote monte à bord pour guider le navire dans la passe et, vers midi et demi, le Navarin mouille en rade Nouméa.

Le Navarin quitte Nouméa pour le voyage retour le 3 juin 1879, embarquant 405 déportés ou commués et 2 forçats dont la peine est commuée en réclusion. Avant le départ, chaque amnistié reçoit 1 paletot, 1 pantalon, 1 Béret et 2 paires de bas de laine, l'itinéraire devant passer par le cap Horn. Ces effets d'une assez mauvaise qualité provenaient d'un achat effectué par la Ville de Paris, et avaient été apportés par le Var, arrivé à Nouméa le 28 mai. A 10h30 ce 3 juin 1879, le navire sort de la rade, remorqué par la Dives. La traversée entre la Nouvelle-Calédonie et le cap Horn devrait normalement durer de 35 à 40 jours, mais il en faudra 57, car le 6 juin la Navarin subit une avarie du perroquet de fouque dont l'amure casse, puis ce sont des vents défavorables ou contraires qui ralentissent le navire.
Dans les premiers jours de la traversé, un nourrisson de 2 semaines décède et, le 23 juin c'est un des amnistiés déjà malades à l'embarquement qui meurt des suites d'une angine de poitrine. Ce dernier sera immergé après une cérémonie civile. Le dimanche 29 juin un autre amnistié décède et sera jeté à la mer dans les mêmes conditions. Le 10 juillet, c'est un marin qui décède et sera lui immergé religieusement. Puis quelques cas de scorbut se déclarent dans la batterie haute. Le Navarin met 3 jours pour franchir le cap Horn sans incidents, du 20 au 22 juillet. Le 6 août nouveau décès d'un amnistié. Dans la nuit 12 au du mois, Sainte-Hélène est en vue et le 13, c'est le mouillage devant James Town. Ce même jour un autre amnistié meurt, et sera enseveli religieusement sur l'île.
Le 17 août, c'est le départ en direction des îles du Cap Vert et le 23 le Navarin passe l'Equateur par le travers de l'île Saint-Paul. Le 26 c'est un véritable déluge qui débute, et les grains se succèdent avant le retour au calme le soir, avec l'entré dans la région du pot au noir. Le 30 août les îles étant proche, le commandant ne voulant pas les heurter de nuit, il ordonne de reprendre la pleine mer. Par la suite les vents sont peu favorables jusqu'au 3 septembre, et il faudra encor 8 jours pour arriver à hauteur de l'île de Flores au nord des Açores. Cela totalise déjà un retard de 3 semaines, et le navire n'a pas assez de vivres pour assurer la subsistance si l'arrivée intervient après le 25 septembre. Le 13 septembre, déjà malade depuis un certain temps, un second marin âgé de 22 ans décède d'hydropisie générale. 

Le 18 septembre le rationnement est mis en place par le commandant. Il durera 8 jours. Le 21, le temps change et des vents favorables permettent d'entrevoir la fin prochaine du voyage. Le 27 le navire se trouve à 42 lieues du goulet de Brest. Cette nuit-là tout le monde est sur le pont pour voir le phare d’Ouessant. Le commandant décide d'entrer de nuit et le Navarin mouille en rade de Brest à 9h00 le 28 septembre 1879. Cette arrivée inopinée est relatée dans un article du Petit Parisien du 1er octobre 1879, page 2, ainsi que le retour à Paris des amnistiés. Les formalités effectuées, les amnistiés quittent le navire.
L'un d'eux décède à peine débarqué sur le sol métropolitain. Il avait quitté le bord sur une civière.
Les amnistiés arrivent dans la Capitale ce 1er octobre 1879, comme le relate un article de la Petite Presse. Parmi eux se trouvait un certain Jean-Baptiste PORTEFAIX, originaire de Paris. Ce dernier, lieuenant puis capitaine de la Garde sous la Commune, arrêté le 28 mai 1871, avait été condamné le 8 mai 1872 à la déportation en enceinte fortifiée, peine remise le 15 janvier 1879. Il ne benéficiera pas longtemps de la liberté en Métropole que lui avait apporté son retour sur le Navarin, puisqu'il décède à Paris, dans son domicile, 16 rue Collard, le 11 décembre 1881. Le 6 mars de précdent, il avait été victime d'un accident alors qu'il exerçait la profession de cocher.

Le Navarin effectuera un autre transport qui interviendra après l'amnistie générale octroyée par la loi du 12 juillet 1880. Il quitte ainsi Nouméa le 4 septembre 1880, embarquant 317 déportés graciés qui sont rapatriés. Il arrivera à Brest le 6 janvier 1881.

Après un nouveau voyage aller vers la Nouvelle-Calédonie, Le Navarin se prépare à regagner la Métropole. François DENIS, nous a raconté son voyage aller en 1879. Et il voyage à nouveau sur le Navarin pour le retour. Il embarque ainsi le 28 novembre 1881 à 8 heures, avec 336 autres soldats et 50 convalescents.
Le 1er décembre, le navire lève l’ancre, pris en charge par le D’Estrée et remorqué pour sortie de la passe. Le 7 décembre, un artilleur meurt subitement, et son corps est jeté à la mer le lendemain après une courte cérémonie. Le 10, la vergue du cacatois se casse par une négligence des matelots. Dans la nuit du 16au 17, un matelot qui était monté dans le mât d’artimon, afin de dégager une corde prise dans les voiles, fait une chute sur la dunette et il s’est fait grand mal, mais le médecin a dit qu’il n’aurait rien de cassé, qu’avec les soins voulus, ça ne serait rien.
Le 5 janvier 1882, une femme qui était malade et à l’infirmerie depuis un certain temps décède. Et le même jour, vers 16h00, un homme malade qui était lui aussi à l’infirmerie meurt à son tour. Ces deux corps sont jetés à la mer le lendemain, après la cérémonie rituelle. Le 16 janvier, vers 4 ou 5 heures, le fils en bas âge d’un gendarme meurt. Le 17, c’est un des amnistiés, qui était malade de longue date, attaqué de la poitrine, qui décède à l’hôpital. Le Navarin est alors à hauteur du Cap Horn, où le navire essuie une tempête, qui n’a eu pour conséquence qu’un foc déchiré et une corde cassée. Le 19, par un calme plat, le Cap Horn est doublé. Le 26 janvier, par 50° de latitude, un banc de glace est signalé par la vigie. Le 5 février vers 4h30, un employé de l’Administration, qui revenait de Tahiti, malade depuis longtemps, rend son dernier soupir à l’hôpital, et est jeté à la mer le soir même. Le 11, c’est un soldat du 2ème régiment, lui aussi malade depuis un certain temps, décède : après tous les soins voulus, il est mort de la poitrine. Le lendemain à 10h00, cérémonie funèbre : Tous les officiers y ont assisté et une partie de la troupe et le tambour de bord avec son tambour recouvert de noir pour sonner le roulement, au moment où on l’a jeté à la mer. Le 15 vers 2h45, un enfant convalescent, qui se trouvait à l’hôpital, atteint de fièvre typhoïde, meurt. Il est jeté à la mer le lendemain à 9h30, après les honneurs funèbres.

Le 18, la vigie annonce « terre ! », c’est-à-dire Sainte-Hélène, ce qui réjouit tous les passagers après 80 jours de mer. Mais, vers 20h00, alors que le Navarin ne se trouve qu’à 5 ou 6 km de l’île, il est trop tard pour entrer en rade, et le navire doit virer de bord pour tirer des bordées pendant toute la nuit. Le lendemain le bateau mouille en rade de Sainte-Hélène. François Denis donne une description détaillée de cette île.


Il est bon de vous dire que, le tour de l’île, il n’y a pas de fond et ni récifs. Il est que un seul devant la ville que l’on peut mouiller et il n’est pas grand. Il ne faut pas le rater, sans cela on ne trouverait pas de fond. Maintenant la ville est très mal située entre des montagnes et il y en a la moitié qui est dans la montagne. Ça paraît bien bâti en pierre et couvert de tuiles. On mouille à environ 1000 1500 mètres de la terre. En face de la ville, il y a un grand mur qui fait le cercle devant la ville, où la mer rejette son reflux et, en même temps, c’est là qui est le quai. Il y a une belle cathédrale qui est montée en pierre jusqu’au haut de la flèche du clocher et des arbres qui sont bien verts sur les allées qui se trouvent devant. Ou, plutôt, la place n’est pas grande. Le plus haute maison que j’ai remarquée est à 3 étages. Il y a aussi 6 forts qui sont taillés dans les rochers pour défendre la ville et la rade. De la manière que c’est situé, c’est imprenable. On compte 700 habitants. Ça n’est pas fort, mais c’est beau à voir le chemin qu’ils ont taillé dans le roc et, partout, il y a un grand mur pour garantir de tomber dans les remblais qui sont escabreux. Il y a même beaucoup d’endroits que l’on ne peut pas y pénétrer, mais sur le bord de la mer. (…illisible…). Je ne pourrai pas trop en donner grand détail, car je ne reconnais pas. Mais je crois que ça doit être très médiocre dans des chaleurs comme il y en fait. Et puis je coirs bien aussi qu’il n’y a pas des tas d’eau douce. On voit que c’est sec partout. Je crois que ça ne fait pas grand commerce. Je vous dirai aussi que les habitants ne travaillent pas le samedi ni le dimanche. Tous les magasins sont fermés. On ne peut rien avoir avec son argent. 


Montagnes. Elles sont assez élevées, mais, en haut de toutes ces montagnes, ça forme un plateau. Et voici comme elles sont construites. Ce sont des rochers qui sont de gradin en gradin comme des marches d’escalier. Ça a été formé per la mer de siècle en siècle. Ça a laissé des gradins, mais pas un brin d’herbe y croît dessus. Pas d’arbre, que tout à fait sur les plateaux et encore il y en a pas beaucoup. L’on voit sur le bord de la mer, ça s’y est formé des grottes creusées par la mer où l’eau se ragaillardit lorsqu’elle vient se jeter le long à 15 à 20 mètres d’hauteur. Une vie magnifique. Il y a aussi, à droite de la ville, une montagne qui est très haute et dans le même genre que les autres sur un côté et, de l’autre, très rapide, mais avec des gradins. Tout à fait en haut, il y a un petit plateau qui ressemble à la couronne d’un empereur. Car paraît-elle avoir 40 mètres carrés à 60 et là-dessus, il y a une maison. Selon moi, ça est un poste de soldats. Ça domine loin en mer. A gauche, il se trouve un autre où se trouve le sémaphore et une porte de la ville entre les deux monts. Il y en a quatre autres qui sont presque aussi et c’est haut sur tout le port avec des pièces. La caserne des Anglais se trouve au-dessus de la ville, dans la montagne qui domine tous les environs. Après avoir fait des provisions, le Navarin reprend la mer en direction de la France.
Le 24 février 1882, un civil, titulaire de la Médaille Militaire, écrivain de Marine, meurt à l’hôpital. Cet homme était atteint de douleurs rhumatismales et un peu brûlé par la boisson. Depuis son entrée à bord, il a été malade et réduit à ne pas pouvoir quitter le lit. Le lendemain, les honneurs funèbres lui sont rendus, un piquet de 15 à 20 soldats en armes, commandés par un sous-officier, deux caporaux en armes qui escortent le cadavre et son corps est jeté à la mer. Le 25, le Navarin passe près de l’île de l’Ascension. Cette île ne paraît pas bien grande et pas beaucoup de montagnes et c’est un lieu de transportation en Anglais. Il y a aussi des arbres dans la vallée. Ça paraît beaucoup plus habitable que Sainte-Hélène. Le 1er mars 1882, une passagère, Madame MEUNIER, met au monde un enfant à 7h30, alors que le navire se trouve à proximité de l’équateur. Le 7 mars, il essuie une grosse tempête. Le 12 vers 8h00, un matelot décède et une courte cérémonie a lieu le soir même pour ses funérailles. Le 23 mars à 8h00, la vigie annonce la terre des Açores. Le 31, le navire se trouve près de l’île d’Ouessant, dont on voit le phare à 20h30. Le lendemain à 21h00, un coup de canon est tiré pour appeler le pilote, puis une fusée rouge est tirée. Le bateau tire des bordées toute la nuit et, le 2 avril 1882 vers 5h00, tire un nouveau coup de canon. Vers 8h30, le pilote monte à bord puis, vers midi, un bateau à vapeur, l’Infatigable, vient chercher le Navarin pour le remorquer jusque dans la rade de Brest, où il mouille à 18h00.

Pour tout renseignement concernant ces prisonniers, vous pouvez me contacter (ici). Les photos des Communards utilisées dans cet article proviennent du site http://digital.library.northwestern.edu, avec l'aimable autorisation du webmestre du site pour leur utilisation ici. Les photos présentées correspondent en principe aux personnages, mais une erreur d'identification est toujours possible. Pour les communards originaires du Finistère, vous pouvez consulter le site de Patrick Milan, pour ceux originaires d'Arcueil (Val-de-Marne), vous pouvez consulter le site d'Annie Thauront, avec également un article sur le député de la Guadeloupe Melvil-Bloncourt, condamné à mort pour sa participation à la Commune.

Sources :

- Déportés et forçats de la Commune : de Belleville à Nouméa, par Roger Pérennès, Nantes, Ouest Editions, 1991.
- Site Internet http://www.dossiersmarine.fr.
- Dossiers des navires au Centre des Archives d'Outre-Mer à Aix-en-Provence, série H30.
- Anom OCEA 140, dossier K15.
- Wikipedia pour définition du Pot au noir.
- Dossier de bagnard de François Jourdy envoyé par Philippe Rousselot.
- Nouméa aller et retour, par Narcisse Barret, maître d'hôtel à bord du Navarin, Paris, 1880.
- Service Historique de la Défense à Brest 2F17 (Informations envoyées par Yannick Lageat).
- Forum Images Marines, pages 9 et 10.
- http://historic-marine-france.com/plans/plans-vaisseaux.htm.
- Courriel de Marcel Pigeon du 30 septembre 2018.
- Documents concernant François Renard envoyés par Joël Laruelle.
- Courriel de Jérôme Moreau du 12 juin 2020.
- Carnets de voyage et documents de François Denis transcrits et publiés par Pierre Reboul (envoyés par Bernard Denis en juin 2020).
- https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/le-saviez-vous-le-passage-de-la-ligne.
- Archives des Deux-Sèvres, 9 R 2/39-1.
- Courriels de Frédéric Mauchamp, des 22 et 24 janvier 2022.

Crédits photographiques :

- Déportés et forçats de la Commune : de Belleville à Nouméa, par Roger Pérennès, Nantes, Ouest Editions, 1991.
- Numérisations archives par Bernard Guinard.
- Photos envoyées par Claude Millé.
- Photos envoyées par Joël Laruelle et Bertrand Puel.
- Belle photo du Navarin provenant du musée de la Marine (envoyée par Bernard Denis).
- Cartes postales anciennes.
- https://servimg.com/view/13839571/569# (certificat de baptême du Passage de la Ligne).
- Wikipédia et BNF pour rite Passage de la Ligne.

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