Armand Guignard, fils de prisonnier de guerre
une histoire d'amour entre un prisonnier français et une polonaise
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Préambule : Cette histoire débute en 2006 lorsqu'une
américaine d'origine polonaise, cherchant à retrouver son grand-père, et ayant
par hasard consulté mon site, m'adressa un message, sorte de "bouteille à
la mer". Elle croyait qu'il s'appelait Guinard, hors c'est Guignard. Elle
savait seulement que ce français, avait été prisonnier de guerre en Allemagne
où il avait rencontré une jeune polonaise. De cette union était né un fils, son
père.
Emu par cette histoire touchante, je m'efforçais de l'aider de mon mieux dans
sa quête.
Une telle histoire soulevait de nombreux problèmes d'ordre moral. En effet
notre prisonnier était marié et avait un enfant lorsque la guerre éclata. A la
libération il est revenu en France. Mais a-t-il repris une vie
"normale",… A-t-il divorcé?... Sa femme et son enfant furent-ils au
courant de cette "histoire allemande"?... Cette polonaise et son
enfant, que sont-ils devenus ?...
Je ne pense pas que la femme et le fils de notre prisonnier de guerre aient eu
connaissance de cette « histoire allemande », car ils auraient
peut-être essayé de retrouvé cet enfant et demi-frère… D'autre part si divorce
il y avait eu, Armand aurait peut-être essayé de retrouver son amie polonaise
et son fils… J'avais enfin pensé à essayer de retrouver les descendants
français de ce prisonnier, mais je n'ai pas osé à l'époque, car je ne sais pas
comment ils auraient réagi s'ils découvraient cette histoire …
Ce sont toutes des questions auxquelles je n’ai pas trouvé de réponses,
réponses que je n’ai d’ailleurs pas cherchées !... Car elles soulèvent un
certain nombre de problèmes de conscience.
Mais qui sommes nous pour juger?... Comment aurions nous réagi dans les mêmes
conditions et circonstances?... Sommes-nous responsables des actes de nos
parents ou grands-parents, ou de nos ancêtres plus lointains?...
Ce qui s'est passé dans ce cas précis n’est ni pire ni mieux que certaines
histoires d'amour entre françaises et soldats allemands pendant l'occupation...
Il y en a pourtant eu beaucoup plus que l'on ne le pense!... Mais c'est un
tabou d'en parler et ces enfants ont été et sont encore considérés comme des
enfants de la honte ! L'amour est pourtant un sentiment tout à fait honorable
et humain!…
Les soldats allemands n'étaient pas plus sûrs de revoir leur pays que nos
prisonniers. Les premiers devaient effectuer un certain temps en France, avant
de repartir souvent ailleurs faire la guerre, d'où ils ne reviendraient
peut-être pas vivants. Quant à nos prisonniers, ils ne savaient pas quand ils
reverraient leur pays, car ils devaient pour cela attendre la fin de la guerre
et leur libération. Pour bon nombres de prisonniers français, la vie dans
certains commandos de travail n'était pas trop désagréable si on avait la
chance de tomber dans un "bon kommando", où ils étaient considérés
comme des êtres humains, travaillant de force certes, mais comme de vrais êtres
humains, contrairement à leurs camarades vivant dans les camps de prisonniers.
Faut-il interpréter cette histoire comme un message d’espoir face à l’horreur
de la guerre?... Si la guerre n’avait pas eu lieu, Armand n’aurait pas été
prisonnier, comme tant d’autres, et tout ceci ne serait certainement pas
arrivé…
Après bien des années de réflexion, et malgré
toutes ces interrogations "éthiques", j’ai pris la décision d’écrire
cet article. Il me semble en effet que ce prisonnier et cette polonaise ont
vécu somme toute une belle histoire d'amour… Par mesure de sauvegarde de la vie
privée, j’ai cependant volontairement omis le nom de cette polonaise et de son
fils, bien que je possède deux photos d’Armand et de sa fille. Seul le nom du
père, le prisonnier de guerre français, est mentionné et ce pour deux raisons.
La première des raisons est que cet enfant de la honte aurait été assez
facilement identifiable. La seconde est que ce militaire est né il y a plus de
100 ans, et qu’il est décédé depuis plus de 25 ans ce qui, légalement, ne
représente aucune atteinte à son image ou à sa vie privée.
Armand Guignard est né le 16 août 1904
à Paris, au 31 rue de Cîteaux dans le 12ème arrondissement, chez la
sage-femme (cette adresse correspond à l'hôpital Saint-Antoine). Il est le fils
de Gustave, âgé de 31 ans, garçon de magasin, et de Marie Eugénie Chérigny,
âgée de 29 ans, ménagère domiciliés au 34 rue Neuve des Boulets dans le 11ème
arrondissement. Gustave est originaire de Chabournay,
dans le département de la Vienne.
Parcours militaire : Armand Guignard
s'engage pour 5 ans, le 26 décembre 1923, à la mairie du 12ème
arrondissement de paris, recruté au titre du 13ème régiment de
Tirailleurs, avec la classe 1924, par le 4ème Bureau de Recrutement
de la Seine. A l'incorporation Armand avait les cheveux châtains, un
visage rond, le front découvert, un nez petit, et mesurant 1m50. Il habitait 27
rue Mousset-Robert à Paris, dans le XIIème arrondissement, exerçant la profession
de manœuvre.
Du 10 au 14 janvier 1924, il est en mer afin de rejoindre son unité au Maroc.
Il arrive dans son régiment le 28 janvier 1924 comme soldat de 2ème
classe, puis est promu au grade de caporal le 25 juin. Il passe au 1er
régiment de Zouaves le 5 juillet 1924. Par ordre général n° 70 du 4 septembre
1925, Armand Guignard est cité à l'ordre de la Région de Fez pour le motif : Chef
de groupe s'est particulièrement par sa belle attitude au feu pendant les
combats du 13 au 15 mai 1925, en entrainant son groupe à l'assaut des crêtes
fortement battues par les feux ennemis. Cette citation obtenue lors de la Guerre du Rif,
lui vaut attribution de la Croix de Guerre Territoire des Opérations
Extérieures.
Rappelons que la Guerre du Rif opposait depuis 1921 les tribus du Rif, région
au nord-est du Maroc, aux espagnols. Les français interviennent en 1915, en
vertu des accords de protectorat passés avec le sultan du Maroc, mais aussi
pour éviter la contagion au reste du Maroc, alors sous influence française.
Du 1er au 6 janvier 1926, il est en mer, puis au C.F.C. (Congé de
fin de campagne) du 6 janvier au 14 juin 1926. Il est de nouveau en mer du 15
au 19 juin. A partir du 20 juin 1926 il est de nouveau au Maroc. Le 5 juillet
1927 il passe au 1er régiment de Zouaves, basé à la caserne
Liautey
à Casablanca. Le 1er janvier 1927, il est promu sergent, puis admis
dans le corps des sous-officiers de carrière le 26 décembre 1928. Après avoir
été promu sergent-chef le 16 mai 1931, il est autorisé à effectuer un second
séjour de 2 ans au Maroc à compter du 20 décembre de la même année. Rapatriable
en Métropole le 22 mai 1934, il embarque à Casablanca le même jour et, à son
arrivée le 24 mai, est affecté au 121ème régiment d'Infanterie, de
nouveau en C.F.C. du 25 mai au 19 octobre 1934. Par décret du 11 juin 1937,
Armand Guignard est décoré de la Médaille Militaire. Le 26 avril 1939 il est à
l’encadrement du bataillon d’instruction.
Lorsque la guerre éclate, Armand est, au 121ème
régiment d'Infanterie basé à Montluçon (Allier), dans les locaux de la caserne
Richemont.
Il porte le matricule 1346 et est à la 2ème compagnie du régiment.
Lors de l'ordre général de mobilisation, son centre de mobilisation est tout
naturellement le centre de Montluçon, où il est placé sous les ordres du
général commandant la Région Centre, du 2 septembre au 26 octobre 1939. Le 25
septembre il avait été affecté à l'encadrement du bataillon d'instruction. Le
27 octobre, il est "aux Armées", sous les ordres du général
commandant en chef. Il est promu adjudant, l’ancien grade de sergent-major, le
19 novembre 1939.
Son épouse, Marie, habite la cité militaire des Guineberts,
proche de la caserne. Ensemble ils ont eu un enfant.
La caserne Richemont
de Montluçon, construite entre 1910 et 1913, a abrité le 121ème
régiment d’Infanterie depuis sa construction, jusqu’en 1939. De 1939 à 1942,
les locaux abritent le 159ème régiment d’Infanterie. De 1942 à 1944,
la caserne est occupée par les troupes allemandes. Ces dernières sont chassées
par les Forces Françaises de l’Intérieur (F.F.I.) en 1944. Elles y resteront
jusqu’en 1945. De 1945 à 1958, les locaux abriteront le 92ème
régiment d’Infanterie, puis le centre d’instruction du Service du Matériel de
1958 jusqu’au 31 juillet 1976. L’Ecole de
Gendarmerie de Montluçon, créée le 1er août 1976 s’installe
alors dans les locaux de la caserne Richemont, sous le nom d’Ecole Préparatoire
et de Perfectionnement de la Gendarmerie. Cette dernière devient en 1984
l’Ecole des Sous-officiers de Gendarmerie (E.S.O.G.)
de Montluçon, puis l’Ecole
de Gendarmerie de Montluçon en 1998.
Le 121ème régiment d'infanterie en
guerre : Avant la
guerre, le 121ème RI est rattaché à la 25ème Division
d'Infanterie Motorisée commandée par le général Molinié, rattachée elle-même à
la 13ème Région Militaire, dont le Grand Quartier Général se trouve
à Clermont-Ferrand (63). Le régiment, commandé par le colonel Charbonnier, est
en garnison à Montluçon (03).
Lorsque guerre éclate, la 25ème DIM est complète en personnel et en
matériel auto. Mais ce dernier est en mauvais état, et on compte un léger
déficit en canons A.C. de 25 mm. La dotation en grenades et mines antichars est
incomplète. Elle est rattachée au 1er Corps d'armée, qui est intégré
à la VIIème Armée commandée par le général Giraud.
Le 10 mai 1940, le 121ème RI tient PC à Bourbourg (59), puis le
lendemain 11 mai à Anvers (Belgique). Il semblerait qu'il soit aussi passé dans
la région de Bréda et de Hoogstraeten,
aussi en Belgique. Du 10 au 18 mai le régiment participe aux combats des
Bouches de l'Escaut, puis du 19 mai au 4 juin, à la Bataille du Nord.
La bataille du Nord et la poche de Lille : En moins de 6
semaines, du 10 mai au 22 juin 1940, les Alliés subissent une cuisante défaite,
et l'armistice est signé le 22 à Rethondes. Hitler a tenu à signer cet acte
dans le même wagon où l'Allemagne avait signé sa défaite de 1918, pour laver ce
qu'il avait toujours considéré comme une humiliation.
Les deux tiers de la France sont occupés, et des dizaines de milliers de
soldats, sont prisonniers, la plupart sans avoir même combattu. L'invasion du
10 mai avait provoqué un gigantesque exode des
populations du nord de la France vers le sud. Environ 10 millions de français,
belges et hollandais fuient les
combats et les bombardements, selon l'historien Jean-Pierre Azéma.
Entre le 26 et le 31 mai une bataille s'engage autour de Lille (59). Trente à
quarante mille hommes barrent héroïquement la route à six divisions allemandes,
dont deux blindées sont ainsi retenues, ce qui permet le réembarquement des
forces britanniques à Dunkerque (59). Le but est de retenir le plus longtemps
possible le plus possibles d'unités allemandes, car chaque heure passée à
résister permet à des soldats alliés de s'embarquer.
Les forces françaises se replient donc de l'Escaut vers la Deûle, mais leur
retraite est bloquée sur ce dernier cours d'eau car les ponts sautent les uns
après les autres. On retrouve ainsi de nombreuses unités pêle-mêle, dont le 121ème
RI. Le général Molinié, qui commande la 25ème DIM et dirige la
résistance depuis Haubourdin (59), organise une tentative de sortie pour
rejoindre Armentières en franchissant le pont de
l'abbaye sur la Deûle. Le 28 au matin, après un carnage, c'est l'échec et
les points de résistance cèdent un à un le 31 mai. Les unités manquent
tellement de munitions que des soldats attaquent les allemands avec des
pierres. Il y a des centaines de morts et de blessés et les trois derniers
ponts ont sauté. Le général Waeger, commandant les troupes allemandes propose
au général Molinié une reddition
avec les honneurs et celle-ci sera finalement acceptée. Le 1er juin
un bataillon français défile en armes sur la place de la Déesse à Lille. Les
allemands leur rendront les honneurs,
ce qui vaudra au général Waeger d'être limogé par Hitler. Winston Churchill
écrira dans ses mémoires : Ces français avaient durant quatre jours
critiques contenu pas moins de sept divisions allemandes qui, autrement,
auraient pu prendre part aux attaques sur le périmètre de Dunkerque. Ces
troupes apportèrent ainsi une splendide contribution au salut de leurs
camarades plus favorisés du corps expéditionnaire britannique. Ce fait
d'armes aura permis 338226 hommes à Dunkerque, dont 139 911 français et belges.
Des milliers de soldats français prennent le chemin de la captivité
jusqu'au printemps 1945 pour la plupart. Le 121ème RI, qui se
trouvait à Loos (59), a été capturé au complet et beaucoup de ses éléments
partiront à pied
vers l'Allemagne via le Danemark.
La captivité : Armand Guignard est fait prisonnier le
19 juin 1940 au Bois de la Roche, sans autre précision.
Il existe un bois de la Roche à proximité de Mont,
en Belgique.
Il en existe un autre, avec château
construit par la famille de Montauban, sur la commune de Néant-sur-Yvel,
dans le Morbihan. Enfin il existe aussi un bois de la Roche, avec manoir et
ancienne métairie, dans le canton de Sizun, dans le Finistère. Le Morbihan et
le Finistère faisaient partie de la XIème Région Militaire. En mai-juin 1940,
il y arrivait sans cesse des flots de réfugiés civils, mais aussi des troupes
françaises et belges, des états-majors et des services, tous en retraite depuis
les départements de la région lilloise. Il faut aussi noter le présence
d'unités embarquées sous les bombes à Dunkerque du 27 mai au 4 juin, parvenues
en Angleterre, puis rembarquées pour la France à direction de Cherbourg, dans
le but de se regrouper en Normandie, ou en Bretagne, et de reprendre le combat
contre l'envahisseur.
Le 121ème RI ayant été capturé le 31 mai dans la poche de Lille,
Armand faisait-il partie de ces prisonniers?... Avait-il été isolé de son unité
avant?... S'est-il échappé pendant qu'il partait vers l'Allemagne via le
Danemark avant d'être repris le 19 juin en Belgique?... S'est-il replié sur la
Bretgane avant d'être de nouveau capturé?...
L'état actuel des recherches, et surtout le manque de précisions dans les
différents documents consultés, ne permettent pas de savoir si c'est l'un de
ces trois lieux, ou bien un autre, différent encore… où fut capturé Armand.
Toute hypothèse ne serait donc que pure conjecture!... et tel n'est pas le
propos de cet article.
Ce qui est avéré, c'est qu'après avoir transité par la caserne Lefevre à
Mulhouse (Haut-Rhin) en juillet 1940 (voir fiche prisonnier page 1, page 2),
portant le n° 75202 de la liste
des prisonniers, Armand est acheminé sur le Stalag VII A à
Moosburg
(Bavière) (voir carte),
sous le matricule 55023, liste 898/40 (page 1,
page 2),
à compter du 12 août 1940. Par la suite, selon Maria W..., Armand est envoyé
dans un kommando dans le village d'Emmering
(Bavière). Il reste pendant pratiquement toute la durée de la guerre
semble t'il à Emmering.
La fiche médicale de son dossier de prisonnier d'Armand mentionne Furstensfelbrouck
(Munich) ST 7A. Il semble qu'il s'agit du kommando de Fürstenfeldbruck qui
accueillit des prisonniers français dans une Spanplattenfabrik (usine de
panneaux de particules) à partir de janvier 1941. Ce village de Bavière, dont
le numéro de kommando est inconnu dans l'état actuel des recherches, est situé
juste à côté d'Emmering,
et est chef-lieu de canton (voir carte).
Pour les besoins de son industrie et de son agriculture, Hitler n'avait
pas mobilisé tous les allemands. Ces hommes pouvaient rejoindre les rangs de la
Wehrmacht, mais il fallait les remplacer. Rappelons que plus d'1 million de
français furent fait prisonnier en mai et juin 1940, sans compter les autres
nationalités. Le Führer décida dons de substituer des prisonniers aux
travailleurs allemands afin que ceux-ci puissent rejoindre les rangs de
l'armée. De plus ces hommes, dont l'âge se situait entre 20 et 48 ans, ôterait
à la France une partie des ses forces vives, ce qui permettrait au Reich de
mieux la dominer.
Mais il fallait du temps pour recenser les employeurs et donc le nombre de
prisonniers à leur attribuer. Ainsi les kommandos ne seront pas constitués
immédiatement. Il y en aura plus de 80 000 de moyenne et petite importance, qui
seront constitués au cours des derniers mois de 1940 ou au début de 1941.
Les prisonniers passent par des camps de prisonniers, Stammlager ou
Soldatenlager, abrégé en Stalag, où ils sont fouillés, douchés et désinfectés.
On leur confisque leurs papiers. Les bagages sont fouillés et on confisque au
prisonnier tout objet qui pourrait favoriser une évasion, un meurtre ou un
suicide (boussole, rasoir, ciseaux, couteaux, briquets, allumettes, bougies,
ceintures, lacets, boîte ou flacon de médicament, pinces à ongles, etc...).
Chaque prisonnier est photographié, on lui relève les empreintes digitales, et
on lui remet une petite
plaque
en zinc de 6 cm sur 4, sur laquelle est gravé le numéro matricule qui lui est
attribué. Cette plaque est percée de deux petits trous permettant de la porter
en sautoir avec une ficelle. La plaque est constituée de deux moitiés
identiques séparées par une ligne de trous, ce qui permettait en cas de décès
de la briser en deux. La partie était destinée à la famille, et la partie
inférieure pour être clouée au cercueil. Le prisonnier a l'obligation de porter
cette plaquette jour et nuit, mais surtout lors des appels.
Plusieurs centaines d'hommes sont hébergés dans ces camps entourés de barbelés,
dans des baraques en bois contenant 12 lits à 3 étages.
L'Allemagne en guerre ayant un grand besoin de main d'œuvre, les prisonniers
sont envoyés dans des camps de travail ou des kommandos dispersés dans tout le
pays. Un règlement strict est appliqué dans les camps de travail, avec lever à
4 heures, rassemblement, appel, départ pour le travail, et coucher à 19 heures,
après la soupe.
Les Kommandos
agricoles sont vite considérés par les prisonniers comme de "bonnes
planques", où l'on ne souffre plus de la faim des premiers jours de
captivité. Dans ce type de Kommando, une certaine entente ou une certaine
compréhension s'est vite mise en place entre le "bauer" allemand est
le cultivateur français prisonnier. Leur même amour de la terre permit ce
rapprochement, et après un temps d'adaptation eu égard aux méthodes
d'exploitation différentes, le français fut vite laissé seul par le fermier
allemand pour faire son travail. Et à partir de 1942, lorsque les agriculteurs
allemands seront aussi mobilisés, le prisonnier français prendra parfois sa
place dans l'exploitation. L'attitude était bien évidemment différente lorsque
le prisonnier affecté à une exploitation n'était pas du tout du monde agricole.
Les Kommandos industriels sont au départ plus redoutés, bien qu'à la longue les
"tire-au-flanc" sauront en tirer parti, de même que les saboteurs.
Les horaires de travail y sont plus réguliers, coïncidant souvent avec ceux des
ouvriers allemands, et le repos hebdomadaire y est prévu. Mais bien souvent la
direction de l'entreprise impose aux prisonniers des heures supplémentaires le
dimanche. Dans certaines entreprises, le travail est rude, parfois dangereux,
minuté et contrôlé. Il y aura parfois des ententes entre prisonniers, gardiens
et ouvriers. Dans les grandes entreprises, le travail est souvent écrasant,
effectué sous la surveillance hargneuse et continue d'un contremaître. Ici la
tentation du sabotage se fait beaucoup plus sentir par le prisonnier qui se
sent un automate. Mais elle est aussi plus dangereuse et malgré cela, ils
arriveront quand même à ralentir la production.
Ces différentes conditions de vie dans les Kommandos amèneront des attitudes
différentes chez les prisonniers de guerre. Ceux affectés à un Kommando se
trouvant dans une petite ville et qui y passeront toute leur captivité,
acquerront des habitudes et des libertés dans leur façon de travailler qui
seront fonction de la considération qui leur est témoignée, générosité ou
mépris… C'est dans ce genre de Kommando que le prisonnier profite le plus des
circonstances pour améliorer leurs conditions de vie.
Mais les conditions de vie ne sont pas les même dans les grandes fermes
employant plusieurs équipes, et la petite ferme n'employant qu'un prisonnier.
Il en sera de même dans une grande ville, une petite ville ou une usine isolée.
Surtout si le prisonnier est employé dans sa profession ou non. La vie en
captivité et l'attitude de la population est aussi différente selon les régions
: Prusse, Autriche, régions frontalières, Bavière, etc,…
Ainsi dans certaines régions les prisonniers ont-ils pu obtenir plus ou moins
rapidement certaines libertés, telles l'autorisation de visite d'un Kommando à
un autre, l'autorisation d'entrer et consommer dans les débits de boissons,
d'acheter dans certains magasins avec l'argent du camp. Mais pour d'autres,
pendant toute la durée de la captivité la surveillance est demeurée étroite
avec remise obligatoire de ses chaussures et des principaux effets
d'habillement chaque soir à leurs gardiens. Une nouvelle affectation d'un
contremaître ou d'un gardien peu faire aussi évoluer les conditions de vie des
prisonniers. Et ne parlons pas des évasions ou des fouilles, pendant lesquelles
des objets interdits sont trouvés, qui modifient les rapports entre
gardiens et prisonniers.
Les travailleurs forcés étaient sévèrement réprimés, même pour des infractions
mineures...
Des travailleurs forcés
s'enfuirent à plusieurs reprises, obligeant les autorités allemandes à
organiser de vértibales "chasses" dans le secteur. Ainsi, pour
faciliter d'éventuelles recherches dans ce secteur, l'usine de papier d'Olching
a fait prendre des photos de groupe des
prisonniers de guerre.
Rappelons que les rapports entre les prisonniers et les allemandes étaient
prohibés et, dans nombre de Kommandos était affichées cette note de l'O.K.W.
(Oberkommando der Wehrmacht) : Il est strictement interdit aux prisonniers
de guerre, y compris le personnel sanitaire et les prêtres, de s'approcher sans
autorisation des femmes et des filles allemandes et d'entrer en relation avec
elles. Toute contravention à cet ordre sera considérée comme acte de
désobéissance et punie de prison jusqu'à dix ans, ou même de la peine de mort
selon la gravité du cas. Bien que le fait d'avoir des relations avec des
allemandes soit passible du Conseil de Guerre, cela n'empêchera pas des
"rapports intimes" entre prisonniers et allemandes. De 1940 à 1945,
700 prisonniers seront ainsi condamnés pour avoir offensé la race des
seigneurs. Les peines prononcées furent de 4 mois de prison à la peine de
mort, selon la gravité des faits : baiser sur la joue, baiser sur la
bouche, rapports plus intimes... Mais combien échappèrent à tout châtiment ?...
Ne dit-on pas : Pas vu, pas pris!... Ainsi il y aura de
nombreux cas
de prisonniers qui ne feront pas que remplacer au travail les hommes
partis
faire la guerre, surtout dans les petites fermes, et nombre "d'enfants
de la honte" naîtrons de ces relations... Comme en France avec
l'occupant allemand d'ailleurs.
La rencontre : Sur la carte d’examen
médical de réfugié, pour le lieu de Détention, il est noté Furstenfelbrouck
(Munich) ST. 7A. Il s’agit de la commune de Fürstenfeldbruck, située sur la
rivière Amper, en Bavière, à 25 kilomètres de Münich. En l’absence d’archive
officielle mentionnant le village d’Emmering,
comme lieu de détention en Arbeitskomando, il est donc difficile de savoir
exactement où se trouvait Armand Guignard. Peut-être le Kommando dépendait-il
de Fürstenfeld et que les prisonniers étaient logés à l’auberge d’Emmering. Les
territoires des deux communes de Fürstenfeldbruck et d’Emmering se touchent.
C'est donc dans son Kommando à Emmering
qu'Armand fait la connaissance d'une jeune serveuse, Maria W..., travaillant
dans une auberge familiale du village, la Gasthof Grätz. C'était une
jeune paysanne d'origine polonaise qui, bien que de condition modeste, n'était
pas non plus stupide. Selon cette Maria, Armand travaillait comme bûcheron.
Mais c'était un homme mystérieux. Elle disait qu'il travaillait pour le
gouvernement de Vichy, mais plutôt du côté "français", peut-être
comme un agent double. La personne qui leur servait d'interprète disait à Maria
qu'elle n'avait pas idée de qui elle avait affaire.
Toujours est-il que cette rencontre déboucha sur une histoire d'amour, qui se
concrétisa par la naissance d'un garçon en 1945, lequel fut prénommé Armand,
comme son père français. Lorsque la guerre se termine et que les prisonniers
son libérés, avant de regagner la France, Armand laisse à Maria une adresse à
Paris, afin qu'elle vienne le rejoindre avec son enfant.
L'amour que maria éprouve pour Armand n'étant peut-être pas assez fort, et
toute sa famille se trouvant en Pologne, Maria préfère regagner son pays natal.
Par la suite, avec la mise en place du régime communiste et la fermeture des
frontières, il lui fut probablement impossible de rejoindre Armand en France,
même si elle le désirait.
Maria élèvera alors seule son enfant, sur l'origine duquel les villageois
"spéculaient" quant à son origine. Il avait en effet le teint mat,
les cheveux et les yeux bruns, et une forme de visage peu habituelle pour un
polonais. Il avait un type méditerranéen prononcé. Son aspect physique et le
fait d'être un enfant illégitime ont toujours été pour cet enfant un fardeau à
porter. Surtout que sa mère ne lui révéla son histoire, qu'elle avait toujours
cachée jusqu'alors, que lorsqu'il fut âgé de 45 ans.
A Emmering, dans Hauptstrasse,
au n° 13, existe depuis 1874 une auberge sous le nom de Gasthof
Grätz. Elle fut créée par Thomas Grätz, puis passa à son fils Leonhart
et sa femme Therese. Le plus jeune de leurs 12 enfants, Franz, premier du nom
et sa femme Maria, reprirent l’affaire familiale en 1937. Leur fils Franz,
deuxième du nom, et sa femme Isolde transformeront l’auberge de village en ce
qu’elle est aujourd’hui. L’auberge
est tenue depuis 1994 par Franz,
troisième du nom et sa femme Karin,
qui sont la 5ème génération de la famille à tenir cet
établissement.
Il y a aussi dans ce village d'Emmering une rue
qui s'appelle zur Denkstätte.
Ce nom vient de ce qu'à l'extrémité nord de cette voie, il y a une petite stèle
commémorative, qui rappelle qu'à l'été 1945, en ce lieu, il y avait un camp de
prisonniers de guerre établi par les américains. Ce camp fonctionna du 29 avril
au mois de novembre 1945, dans la grande prairie située
entre Emmering et l'aéroport de Fürstenfeldbruck. Pendant les chutes de neige
du mois de mai 1945, furent rassemblés en ce lieu 40 à 70 000 prisonniers
allemands, sans hébergment ni nourriture. Il y eut probablement plus de 5 000
morts dans ce lieu pendant les quelques mois d'existence du camp.
Fürstenfeldbruck fut une base aérienne utilisée par les américains de 1945 à
1960. Elle fut ensuite utilisée jusqu'à sa fermeture en 1997 par la Luftwaffe
pour entrainer ses pilotes.
Le retour du prisonnier : Rapatrié le 5
juillet 1945 par le centre de Mulhouse (fiche n° 1094616), il est démobilisé le
17 juillet 1945, selon un rapport du 4ème peloton de Gendarmerie de
l'Allier.
Rappelons que la plan final de rapatriement du
Ministère des Prisonniers Déportés et Réfugiés, qui devait être mis en place
lors de l’arrêt des hostilités consécutif à la reddition de l’Allemagne,
prévoyait que les prisonniers de guerre à leur arrivée en France, devaient être
soumis à une série de formalités dans des « Centres Frontaliers » ou
« centres d’Accueil ». Cette procédure comprenait des contrôles de
sécurité, un examen sanitaire, des opérations d’épouillage, l’obtention de papiers
d’identité, la remise d’une somme d’argent et de provisions. Le prisonnier
devait ensuite regagner le plus vite possible son domicile et finir lui-même
les formalités administratives (démobilisation, obtention du pécule,…) auprès
des autorités de sa région. Mais la libération des prisonniers aura en
définitive, des formes aussi variées que pouvait l’être la captivité.
Armand est affecté au CCT (Centre de Commandement des Transmissions) n° 113,
annexe de Montluçon le 17 août, à l'issue de sa permission de rapatriement. Il
est ensuite affecté au CORT (Centre Opérationnel de Répartition des
Transmissions) 113 le 12 septembre, et affecté à la CHR (Compagnie Hors Rang)
le même jour. Armand est admis à faire valoir ses droits à la retraite
proportionnelle à compter du 24 novembre 1945, avec une pension d'invalidité de
10 % pour captivité. Rayé des Cadres le 24 novembre 1945, il est maintenu en
service armé le 11 janvier 1946 par le Centre de Recrutement de
Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme.
La reprise de la vie conjugale et familiale des prisonniers rapatriés fut
l’occasion de nombreux drames. Ces hommes étaient en effet souvent jeunes (90%
de moins de 36 ans et 60% de moins de 30 ans), car nombre de pères de famille
nombreuse furent libérés par les allemands pendant la guerre. Leur vie
conjugale avant guerre fut donc courte et suivie d’une longue séparation. On
peut se poser la question de savoir quel impact eut cette séparation sur les
liens conjugaux ou familiaux. D’autant plus que le seul contact qui restait
était réduit à une correspondance, mainte fois censurée qui plus est.
Des couples se désintégrèrent pendant la captivité et l’abandon du prisonnier
par son épouse, ou l’infidélité de celle-ci furent la cause de drames
personnels aigus : découverte de l’infidélité de l’épouse, femme ayant
refait sa vie et attendant le mari uniquement pour divorcer, maisons vides et
patrimoine disparu… Ce genre de drame personnel ne concerna cependant qu’une
minorité des prisonniers rapatriés.
De plus, la pensée de laisser l’épouse seule au milieu des difficultés
matérielles, dans des conditions de vie difficiles, pouvaient entrainer chez le
prisonnier un besoin de compagnie, de soutien moral, voire d’affection…
Le Commissaire Général aux Prisonniers de Guerre Maurice Pinot écrivait : On
accueillait souvent les anciens prisonniers de guerre comme des intrus, comme
des gêneurs, avec lesquels il fallait partager les espoirs raréfiés et des
biens en quantité insuffisante. On les considérait comme des malchanceux, comme
des malhabiles, qui n’avaient pas su se débrouiller pour échapper à la capture.
Sans se prendre pour des héros, les prisonniers de guerre admettaient
difficilement de se voir moquer d’eux par ceux qui s’étaient planqués ou
avaient abandonné leurs unités ou qui s’étaient trouvés heureusement à l’abri
des emprises de l’ennemi. Les peines et les misères de la captivité étaient
ignorées ; pire, la vie des camps étaient assimilées parfois à d’enviables
grandes vacances, à la rigueur à une vie de caserne fastidieuse. Qui les comprendra?...
Pour toutes ces raisons les prisonniers de guerre, à leur arrivée, se sentaient
isolés et incompris. Pour en mesurer l’ampleur, il fallait, comme nous, avoir
appartenu au monde des reclus.
Même si le nombre de divorces augmenta sensiblement après guerre, la grande
majorité des prisonniers de guerre reprirent leur vie familiale et conjugale,
la plupart ayant envie de renouer avec le passé, et préférant parfois laisser
de côté ce qui c’était passé pendant leur captivité. Aussi bien l’infidélité
d’une épouse livrée à elle-même pour survivre seule et élever les enfants, que
pour eux-mêmes qui avaient besoin de compagnie et d’affection pour supporter la
captivité. De nombreux couples ont vraisemblablement passé l’éponge, préférant
se tourner vers l’avenir et reprendre une « vraie vie », parfois au
mépris des ragots. Le retour à la maison resta tout de même le rêve le plus
cher de tout prisonnier !...
Armand est décédé le 17 décembre 1983,
aux
Ombrages,
30 avenue de la République à Crosne (Essonne). Son acte de décès
mentionne qu'il est l'époux de Marie Louise Germaine Lafond, domiciliée
à La
Courneuve (Seine-Saint-Denis), au 9 avenue Maréchal Cachin. La
déclaration de
décès est faite par Michel Gourlin, le sous-directeur des
Ombrages.
Liens :
-- www.guillerm-statlag11b.fr,
site de Magali consacré à qes recherches personnelles sur le parcours de son
père mobilisé puis prisonnier de guerre.
Sources :
-- Archives de Paris,
état-civil 4E9355, et registres matricules militaires.
-- Archives de la Vienne, état-civil de Chabournay 9E59/10,
-- Courriels d'Ewa Robinson de 2006 et 2008,
-- Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains, dossier de
prisonnier,
-- Archies du Service Historique de la Défense à Vincennes, cote 34N125.
-- Les Grandes Unités Françaises, historiques succincts, par le Ministère des
Armée, l'Etat-Major de l'Armé de Terre et le Service historique, Imprimerie
Nationale, 1967, tomes 1 et 2,
-- Le Retour des Prisonniers de Guerre Français, par Christophe Lewin,
Publications de la Sorbonne, Paris, 1986,
-- Pétain et les Français 1940-1951, par Michèle Cointet, Editions Perrin,
Paris, 2002, page 243,
-- Les Prisonniers de Guerre dans les Stalags, les Oflags et les Kommandos
1939-1945, par Yves Durand, Editions Hachette,
-- Les Flammes du Purgatoire, Histoire des prisonniers de 1940, par Robert
Christophe, Editions France-Empire, Paris, 1979,
-- Encyclopédie en ligne Wikipedia,
-- Page Internet du stalag sur le site Histoire-en-question http://juin1940.free.fr/stalag.htm,
-- Page Internet du Stalag VII A http://www.moosburg.org,
-- Site Les Prisons de Loos à travers la Seconde Guerre Mondiale
[sept.1939-sept.1944] à l'adresse http://cmapl.pagesperso-orange.fr/B3.html#occupation,
-- Page internet http://cc-mauron-broceliande.com/wiki/index.php5?title=Bois_de_la_Roche,
-- Page internet http://patrimoine.region-bretagne.fr,
-- Page internet http://fr.topic-topos.com/,
-- Page internet Bons et mauvais kommandos sur le site http://www.histoire-en-questions.fr,
-- Forum sur l'armée française en 1940 http://www.atf40.fr
pour le groupement Molinié,
-- Page Internet http://france1940.free.fr
pour l'ordre de bataille du 10 mai 1940,
-- Pages Internet http://cmapl.pagesperso-orange.fr/chaudron_lille.html,
http://home.nordnet.fr/~jdujardin/haubourdin/gbataille.htm,
et le Blog du 14ème régiment de Zouaves pour la Poche de Lille.
Crédits photographiques :
-- Google maps (Bois de la Roche à Mont en
Belgique),
-- Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (dossier de
prisonnier),
-- CPA sur le site Delcampe.com (les Ombrages, Chabournay),
-- Page internet http://cc-mauron-broceliande.com/wiki/index.php5?title=Bois_de_la_Roche
(Bois de la Roche façade nord),
-- Page internet http://fr.topic-topos.com/
(porche et pavillon d'entrée du château du Bois de la Roche),
-- Blog du 14ème régiment de Zouaves http://14emeregimentdezouaves.over-blog.com/article-31-05-1940-redition-de-la-poche-de-lille-106133054.html
(défilé dans Lille),
-- Page Internet http://cmapl.pagesperso-orange.fr/chaudron_lille.html
(Pont de l'Abbaye),
-- Page Internet http://home.nordnet.fr/~jdujardin/haubourdin/gbataille.htm
(signature capitulation par Molinié et Waeger),
-- Pages Internet Google images (photos d'Emmering et Moosburg),
-- Page Internet http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Bataille_de_France
(photos exode et prisonniers dans le Nord),
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